La fin d’un secret de famille

Je vous ai promis de parler de vérité et de mensonge.

“Le mensonge et le silence arrangent bien des drames de famille. ” Tristan Bernard

Peut-être Tristan Bernard a-t-il raison, moi je ne crois pas. Le secret de famille nuit et il resurgit.

Il resurgit toujours.

Il resurgit en chair et en os trente ans après. Ou plus, ou moins.

Avant, il resurgit dans les difficultés de communication.

Il resurgit dans toutes les difficultés, sans qu’on le sache vraiment. Chez un enfant, il peut expliquer l’échec scolaire, car si on n’a pas le droit de savoir d’où on vient ou ce qui s’est passé dans l’histoire familiale, on s’interdit de savoir ce que l’école enseigne.

Chez les adultes, le secret de famille resurgit dans les  difficultés à intégrer les expériences nouvelles, c’est l’angoisse face à la nouveauté, de même il empêche de mémoriser les expériences passées et d’acquérir de la lucidité face aux nouveaux événements. Il est fréquent qu’un individu victime du secret ait tendance à fuir la réalité, dans son comportement : abus de travail ou d’activités, recours à l’imaginaire, au mensonge, à croire que l’autre ment ou dissimule l’essentiel parce que lui-même souvent tait ou déforme la vérité. L’intimité pose problème, on ne sait comment se comporter soit on devient trop curieux, soit on reste totalement indifférent, soit on est incapable de parler et/ou d’écouter l’autre.

Les secrets de famille touchent différents domaines : tout ce qui peut salir, l’origine, la sexualité, la stérilité, la maladie mentale, le suicide, ou tout ce qui peut nuire à l’image qu’une famille a  ou veut  donner d’elle-même, tout ce qui n’aurait jamais dû exister (devoir, voire !).

Le secret de famille, c’est la victoire du silence, des non-dits, du mensonge par omission. C’est le règne des petits singes :

  • Ne pas vouloir voir ce qui pourrait poser problème.
  • Ne rien vouloir dire de ce qu’on sait pour ne pas prendre de risque.
  • Ne pas vouloir entendre pour pouvoir faire « comme si on ne savait pas ».

Ces comportements d’autocensure traduisent à mes yeux l’irresponsabilité et la lâcheté. Quelqu’un m’a fait remarquer que c’était la politique de l’autruche : se mettre la tête dans le sable pour ne rien voir, ne rien dire et ne rien entendre en même temps. S’il me semble possible d’adopter temporairement cette attitude face à un “coup dur”, il faut toujours regarder la vérité en face, affronter la réalité.

Quand le secret de famille est-il révélé ? Lors d’un événement marquant pour la famille : mariage par exemple, et le plus souvent : décès. Un s’en va et un autre (plus ? ) arrive(nt). Pas forcément pour l’héritage mais simplement pour faire connaître leur existence. Légitime !

Mais que se passe-t-il quand le secret de famille s’étale au grand  petit jour ? Ca dépend du secret. Les abus sexuels peuvent faire éclater une famille par l’incompréhension réciproque et généralement des secrets en cascade. Une origine qui est dévoilée, c’est une famille qui s’agrandit et se disloque, ou s’agrandit et se soude.

Moi qui aime la franchise, qui suis un peu trop directe, trop brute à ce qu’il paraît, je n’aime pas les secrets de famille.

Il y a trente ans, j’ai vu, j’ai dit, on ne m’a pas entendu ; on a tu.  On m’a fait taire : j’étais dérangée, j’affabulais. Un (enfant) de plus ? Impossible. (Bien sûr… Ce sont des purs esprits dans cette famille.) Et maintenant, je dois faire comme si c’était une grande bonne surprise ? Couvrir la lâcheté  d’un ? Accepter le mensonge ? Cautionner des comportements qui me dérangent ? Oublier ? Ah, je manque de tact ?

Si le tact est une aptitude au mensonge alors, oui, j’en manque, souvent, j’aime trop la vérité.

Et vous ?

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Irena n’a pas parlé

Avant de lire cet article, lisez le précédent “Droit et devoir de taire la vérité”, il y a une relation entre ces deux textes.

Iréna Slender/Irena Slenderowa

Merci à Wikipedia pour ces informations et sa photo d’Irina jeune.

Irena Sendlerowa (Irena Sendler), née Krzyżanowska (15 février 1910 à Varsovie – 12 mai 2008 à Varsovie), était une résistante et militante polonaise,  Juste parmi les nations.

Elle est élevée dans une banlieue ouvrière de Varsovie, dans la famille d’un médecin engagé dans l’action sociale auprès des pauvres.

Dès les premiers jours de l’occupation allemande, elle commence à travailler au Département de l’Aide Sociale à la mairie de Varsovie où elle organise l’aide aux pauvres. Dans la section d’aide à l’enfant, un groupe clandestin se forme pour venir en aide aux enfants abandonnés qui sont légion à Varsovie après 1939. Cette aide concerne aussi les enfants sortis clandestinement du ghetto. Certains de ces enfants se sont enfuis par un trou dans le mur du ghetto, d’autres ont été sortis dans des camions de pompiers, des ambulances, sous les ordures… Le groupe prépare des faux papiers (certificats de naissance, enquêtes familiales) pour placer les enfants dans les orphelinats ou familles d’accueil.

Le gouvernement polonais en exil à Londres s’est chargé d’envoyer des fonds et créa  Zegota, une Commission clandestine d’aide aux Juifs. L’action de Jolanta (nom de clandestinité d’Irena) est souvent liée à Żegota alors que ce mouvement n’a vu le jour qu’en septembre 1942 ; Irena et ses collègues opéraient depuis trois ans déjà. La Commission et l’argent qui venait de Londres via les canaux clandestins sont néanmoins arrivés au moment où la vie de plusieurs milliers de personnes cachées du côté “aryen” était en jeu. Bien que les Allemands aient commencé à regarder de plus près les dépenses du Département de l’Aide Sociale – une menace planait sur le groupe – les fonds ainsi alloués par la structure clandestine du gouvernement polonais en exil, ont permis de continuer l’action en contournant les contrôles entrepris à la mairie.

En décembre 1942, la Commission d’aide aux Juifs la nomme chef du département de l’enfance. Elle organise le passage clandestin des enfants du Ghetto vers les familles et les institutions à Varsovie, Turkowice et Chotomow  (près de Varsovie). Le 20 octobre 1943, elle est arrêtée par la Gestapo et emmenée à la prison de Pawiak ; malgré les tortures qui la laissèrent infirme à vie, elle n’avouera rien sur son réseau; elle est condamnée à mort. Żegota réussit à la sauver en achetant les gardiens de la prison.

Au total, elle a contribué au sauvetage d’environ 2 500 enfants juifs. Après la guerre, elle transmet la liste des noms et des familles d’accueil qu’elle a tenue à Adolf Berman, le président du Comité Juif en Pologne. Grâce à cette liste, les membres du comité ont réussi à retrouver environ 2 000 enfants.

En 1965, elle a été honorée à Yad Vashem au titre de « Juste parmi les nations ». En 2003, elle a reçu l’Ordre de l’Aigle Blanc, la plus haute distinction civile polonaise.

En mars 2007, le gouvernement polonais de Lech Kaczynski a proposé qu’elle soit élevée au rang d’héroïne nationale, ce que le sénat a voté à l’unanimité. Le sénat polonais a en outre recommandé sa candidature au prix Nobel pour la Paix. On lui a préféré Al Gore.

Elle a été courageuse, elle n’avait pas trente ans quand elle a commencé à risquer sa vie…

 

 

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Droit et devoir de taire la vérité

Enrichi de références littéraires justes, ce livre résonne, toujours aujourd’hui, d’un écho singulier, puisqu’il renvoie aux responsabilités de l’individu face aux injustices qui l’entourent.Certains ferment les yeux, d’autres non.Injustices ? Pas vues ?

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Pendant la Seconde Guerre Mondiale, celui qui cachait un Juif ou un résistant n’avisait  pas la Gestapo. Mal lui en aurait pris. Il le cachait. C’est tout. C’était un devoir de se taire pour celui qui (le) cachait. Combien l’ont fait ? Qu’auriez-vous fait ? C’est facile, après, de penser être un héros.

Voilà le décor du Vercors : forêts, falaises, et grottes nombreuses

Je viens de Grenoble, le maquis du Vercors n’était pas loin et les histoires de guerre, de résistants, de rafles, de collabos ont rempli ma jeunesse. Et ma grand-mère m’en parlait, elle parlait pour que je n’oublie pas.

Nous éprouvons aujourd’hui du respect pour tous ceux qui se sont tus, torturés par des nazis, en France, comme le docteur Valois à Grenoble.

Les autres, ailleurs, on en parle moins, comme si ça ne nous regardait pas , on sait qu’ il y a eu le Goulag, le régime franquiste, la place Tien An Men, la Birmanie, j’oublie Pinochet et les autres… Le prisonnier torturé qui refuse de livrer ses amis, qui se tait sous la torture, nous pensons qu’il est courageux, qu’il fait son devoir en se taisant. Personne ne lui reprochera un mensonge par omission. Parler, se taire ? Que feriez-vous si c’était vous ? Y avez-vous déjà pensé ?

Se taire, c’est parfois prendre le risque d’affronter la torture et la mort mais c’est aussi, quelquefois, se protéger lâchement et se faire complice d’un crime, d’une mauvaise action. L’Eglise tait des secrets comme on le fait dans la Mafia qui est une grande famille : l’omerta, c’est ça. Pas très catholique, non ?

Il est même de nombreuses professions où l’obligation de se taire est un devoir absolu auquel on ne saurait déroger : le secret professionnel.  Deux catégories retiennent mon attention : médecin et secret médical, prêtre et secret de la confession (même si on lui avoue un crime ! ?).

Outre ce secret professionnel qui interdit de dévoiler à des tiers les aveux faits dans l’intimité du cabinet médical ou du confessionnal, se pose au médecin la question de dire ou non la vérité au patient. Le mensonge par omission à celui qui va mourir : cas de conscience du médecin, des soignants et de la famille. Faut-il dire la vérité ? Si oui, qui,  quand et comment ? Infliger la torture du désespoir ? Donner un dernier coup de fouet au malade pour qu’il lutte une dernière fois ? Tout dépend des circonstances, du médecin, du malade et de sa famille. Je peux affirmer que (j’ai des témoins) des médecins m’ont annoncé ma fin prochaine, il y a bientôt quatre ans, sans aucun ménagement, comme si j’étais un morceau de viande sans cervelle. Et je suis là ! Je vous dis : rebelle. Trompe la mort ? Combien de fois encore ?

Dire la vérité à un mourant qui la réclame et qui est capable de la supporter, c’est sans aucun doute l’aider à mourir dans la lucidité et la dignité, s’il est croyant, c’est en principe un devoir de dire la vérité pour qu’il puisse se préparer à passer de vie à trépas. (Je pense à une dame qui est sur le point de nous quitter et qui a voulu savoir. Elle a toujours été courageuse d’après ce qu’on m’a dit. Je l’ai à peine croisée mais il est des rencontres qui vous marquent. Elle a voulu savoir, ses enfants savent. Ils sont tristes mais l’accompagneront sans mensonge jusqu’au bout.) C’est ce droit à la mort digne pour lequel ma grand-mère a milité.

Le Christ et Socrate ont supporté la vérité de leur fin imminente, et dans quelles douleurs , mais ils l’avaient choisie, encore que ça puisse se discuter pour Jésus : il était l’Elu. Nous ne sommes pas le Christ ou Socrate. Nous avons peur, peur de voir mourir l’autre et peur de mourir. Alors que faire ? Dire ou ne pas dire ? Là est la question ?

En dehors de la question des mourants, que faut-il dire ou taire ?

Que faire quand on sait que quelqu’un est en danger ? Il y a devoir d’assistance à la personne en danger. Alors se taire ? Le prisonnier torturé par les officiels ? Le taire ? Les enfants battus par leurs parents ? Les fillettes violées par leur père ou un étranger ? Les travailleurs exploités ? Et l’animal martyrisé par son maître ? Se taire ? Et l’assassin qui se cache ?  Dans un autre registre, le voisin qui cultive du zamal (marijuana) ? Et celui qui truande la Sécurité Sociale , les ASSEDIC, le Trésor Public ? Se taire ? Et nos députés qui s’arrangent avec les indemnités ? Les ministres qui s’octroient des largesses avec les deniers publics ? Complétez la liste vous-même. Se taire ? Le taire ? Que faire ? Comment faire ? Que feriez-vous ? Qu’avez-vous fait ? Que faites-vous ?

Et qui vous entend ?

Yankelevitch a écrit ” Malheur à ceux qui mettent au-dessus de l’amour la vérité criminelle de la délation ! Malheur aux brutes qui disent toujours la vérité ! ” (Traité des vertus, la sincérité.)

Taire, ne pas dénoncer ? La délation est un mot qui horrifie. Personne ne se sent l’âme d’un délateur. Et pourtant… Il y a eu Judas qui a vendu Jésus pour combien d’écus ? Ganelon ? C’est lui qui a causé la perte de Roland à Roncevaux. Et combien d’autres ? Personne ne veut être le traître, il y en a pourtant un de temps en temps. Pourquoi ? Peur, lâcheté, vengeance, naïveté ou conviction.   Ce qui nous intéresse c’est le silence,  taire la vérité, ce qui est peut être mensonge, obéissance et courage. Quoi qu’il en soit, se taire par intérêt n’est jamais moral. On abuse des autres. C’est  de l’égoïsme. De la peur ? Le mensonge politique est égoïsme. Celui qui refuse de dire la vérité parce qu’il a peur de perdre des voix aux élections se sert des autres, de nous, est immoral. Pourtant quelquefois, il est de notre devoir de parler.

Au fond, tout est question de cas particuliers, il nous faut distinguer le juste, l’humain et l’équitable. Il y a des cas de conscience : “Il ne faut pas toujours dire tout, car ce serait sottise ; mais ce qu’on dit, il faut qu’il soit tel qu’on le pense, autrement c’est méchanceté” d’après Montaigne. Dans les “Maximes, pensées et paradoxes” de Rivarol, on peut lire la même idée exprimée différemment « La raison se compose de vérités qu’il faut dire et de vérités qu’il faut taire ».

C’est dire que le droit de se taire n’est bien sûr pas un droit universel. Il est parfois permis de se taire quand on connaît la vérité : pour ne pas nuire. Il n’en reste pas moins vrai que les circonstances de ce droit restent exceptionnelles. Jusqu’où se taire ?

L’idéal reste une société où la vérité serait une valeur unanimement respectée (quelles que soient les conséquences ?). C’est un idéal et n’est-ce pas un ou le suprême mensonge de croire que la vérité est toujours possible ? Utopiste, je vous ai déjà dit.

Je cherche la vérité, partout, dès que je peux. Pour en faire quoi ?

Et vous que faites-vous ?

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Les trois petits singes

Les singes de la sagesse, aussi appelés “les trois petits singes”, sont un  symbole  de la sagesse orientale. Chacun d’eux se couvre une partie différente du visage avec les mains : le premier les yeux, le deuxième les oreilles et le troisième la bouche ce qui signifie « Ne rien voir, ne rien entendre , ne rien dire». À celui qui suit cette maxime, il n’arrivera pas d’ennuis, parait-il. En Chine…

Au Japon, les trois singes sont appelés Mizaru pour l’aveugle, Kikazaru ( pour le sourd, et Iwazaru pour le muet. Ces trois noms signifient littéralement, : « Ne vois pas », « N’entends pas », « Ne parle pas » , il existe un jeu de mots sur zaru (forme verbale négative archaïque) et saru (singe).

Les singes japonais sont venus de Chine, importés par un moine bouddhiste.Cette maxime fut notamment prise pour devise par Gandhi qui gardait toujours avec lui une petite sculpture de ces trois singes.

D’autres interprétations sont possibles. Dans la philosophie orientale, la figure du Yin et du Yang invite à trouver une chose et son contraire dans un même cadre. Ces trois singes peuvent aussi métaphoriquement évoquer le contraire de ce qu’on leur fait habituellement dire.

  • Il y a ceux qui voient des choses et en parlent, mais n’écoutent pas ce que l’on leur dit…
  • Il y a ceux qui ne voient rien, écoutent les autres et en parlent…
  • Il y a ceux qui entendent et voient des choses, mais n’en parlent pas…

Plus simplement, juste avec un adverbe qui change tout :

  • Ne rien entendre de mal.
  • Ne rien voir de mal.
  • Ne rien dire de mal.

Mais aussi plus clairement :

  • Ne pas vouloir voir ce qui pourrait poser problème.
  • Ne rien vouloir dire de ce qu’on sait pour ne pas prendre de risque.
  • Ne pas vouloir entendre pour pouvoir faire « comme si on ne savait pas ».

Tiens, la dernière petite phrase me fait penser à quelque chose…

Les comportements d’autocensure peuvent traduire une forme d’irresponsabilité ou de lâcheté. J’en connais des…

La suite au prochain numéro.

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Traité sur la tolérance, Prière à Dieu

Aujourd’hui  dimanche, je laisse l’essentiel de la parole à un auteur que j’adore : VOLTAIRE. Ce texte est, à mes yeux, LA référence quand on parle de tolérance.

Pourquoi Voltaire ? Pourquoi Dieu ? Pourquoi tolérance ?

D’abord, parce que c’est dimanche et parce que j’ai envie (ce qui est une excellente raison) et parce que Voltaire me semble l’un des auteurs les plus aisés à comprendre (même si son ego était sans doute un peu hypertrophié), il me permet de mettre les choses au point entre vous et moi ; parce que j’évoque Dieu, de temps à autre, plus par habitude (ou tic ?) de langage que par réelle foi ; je suis une mécréante, ne vous choquez pas, je dis haut ce que d’autres pensent tout bas (je me comporte sans doute mieux que quelques bigots dits aussi hypocrites, pharisiens, ou tartuffes). Enfin la tolérance, parce que nous sommes de moins en moins indulgents, malgré nos grandes déclarations, envers l’autre qui n’a pas la bonne couleur de peau, mange, boit, s’habille  différemment. Peu m’importe  à moi, ses différences, tant qu’il n’empiète pas sur liberté des autres, ni (surtout) sur la mienne, qu’il se conforme à la morale reconnue dans mon pays. Il faut bien qu’un ordre soit établi ; pourtant combien de fois ai-je eu envie de crier “Ni Dieu ni maître” ? Ca, c’est un autre sujet. Revenons-en à Voltaire.

Bonne lecture

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Traité sur la tolérance, Prière à dieu, chapitre XXIII de Voltaire


Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un coeur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau ; que ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu sais qu’il n’y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s’enorgueillir.
Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible. Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu’à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant.

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Ce que j’aime dans ce texte c’est qu’il a l’apparence d’une prière à Dieu, mais qu’il s’adresse aux hommes.

Les premiers destinataires de la prière  sont les hommes : “Ce n’est donc plus aux hommes”, c’est une figure de style efficace pour attirer l’attention : la prétérition (silence non tenu).

Puis tout en feignant de s’adresser à Dieu, Voltaire insiste sur l’infériorité des hommes face au Tout-Puissant. Les hommes sont si fragiles et stupides : “faibles créatures”, “imperceptibles” , “nos débiles corps”, “les atomes appelés hommes” qu’ils ne peuvent pas comprendre, or je pense que Voltaire avait foi en l’intelligence humaine.

L’adresse faite à Dieu est peu marquée il n’y a que deux verbes “daigne”  et “fais que”, en revanche le contenu de la demande est très importante, mais, comme le “fais que” n’est pas répété, la demande s’adresse directement aux hommes.

Dieu est universel et bon,  Voltaire cite sa générosité absolue : “à toi qui as tout donné “, sa puissance et son éternité “dont les décrets sont immuables comme éternels”,  “ta bonté”, son omniscience  “car tu sais”, mais Voltaire est-il sincère ou ironise-t-il une fois de plus ?

Le contenu de la prière est propre à une prière : il renvoie à la compréhension. Dieu est-il compréhensif ? Il est Tout-Puissant et décide donc pas de compréhension, à la tolérance entre les hommes, “tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr et des mains pour nous égorger”, il  écarte la responsabilité divine pour mettre en avant celle des hommes. Dieu a donné des capacités aux hommes qu’ils utilisent mal. Le Tout-Puissant ne l’est donc pas tant… tout puissant si les hommes font ce qu’ils veulent (ah, c’est le libre-arbitre !?).

Voltaire joue l’humilité pour ne pas trop choquer ses contemporains, son humble  demande souligne la soumission de l’homme devant Dieu : “s’il est permis à de faibles créatures” d’ “oser te demander”, “daigne”. Dans quelle mesure ne joue-t-il pas au Tartuffe ?  Il s’adresse aux hommes et il insiste sur leur comportement destructeur, “haine et persécution”, “haïr et égorger”, “nos lois imparfaites”, “vanité”, “la tyrannie”, “le brigandage “, ” les fléaux de la guerre “…

La partie de ce texte qui me le fait aimer beaucoup, c’est cette condamnation des rites, des dérives religieuses, sectaires. Voltaire reproche aux ecclésiastiques leur goût pour l’argent, la fortune et le pouvoir.

Il utilise des périphrases pour désigner cette hiérarchie ecclésiastique, cette mascarade : “ceux dont l’habit est teint en violet” (évêques), “ceux dont l’habit est teint en rouge” (cardinaux), ou d’autres encore “sous un manteau de laine noire”, ça ne vous rappelle rien d’actuel ces déguisements ? Je passe sous silence les “quelques fragments arrondis d’un certain métal” (argent), “un jargon formé d’une ancienne langue” (latin). Toutes ces périphrases  sont dépréciatives, elles dévalorisent volontairement comme le “petit tas de la boue”, “ces petites nuances”.

Voltaire ne s’adresse pas au Dieu des chrétiens mais au Dieu de tous les hommes : “Dieu de tous les êtres, de tous les mondes, de tous les temps” “à bénir également en mille langages divers”. C’est celui-là mon éventuel Dieu.

Il faut arriver à dépasser toutes les pratiques religieuses rituelles qui divisent les hommes et rejeter toutes les formes de violence dans le respect d’autrui.

Qu’en pensez-vous ? Est-ce possible ? A qui s’adresser ? A Dieu ? Aux hommes ?

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Travailler du chapeau

Samedi, déjà !

Pour finir la série des chapeaux, non je ne suis pas monomaniaque et je ne pense pas travailler du chapeau. Encore que… je vous rappelle la définition du fou d’Ambrose Bierce, Dictionnaire du Diable : Fou adjectif, Continuer la lecture

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Comparaison, adaptation, coïncidence

C’était ma semaine des chapeaux ; elle se termine demain.

Aurélie m’a fait parvenir un article que je relaie. Il est extrait de la Tribune de Genève.

Les princesses Eugénie et Béatrice comparées aux belles-sœurs de Cendrillon

montage | Le web compare les princesses Eugénie et Béatrice, cousine du prince William, aux affreuses belles-sœurs de Cendrillon. L’image est photoshopée, mais l’idée amusante.
 KEYSTONE

© KEYSTONE | En haut, le montage, en bas, l’image originale.

rédaction  | 13.05.2011 | 12:53

Les princesses Eugénie et Béatrice, cousine du prince William, ont fait beaucoup parler d’elle à cause de leurs choix de vêtements pour le mariage royal.

La blogosphère s’est emparée des images des deux soeurs pour les comparer aux affreuses belles-sœurs de Cendrillon. Le premier montage est un faux, les couleurs des robes dans le dessin animé ayant été modifiées. La seconde image présente les véritables coloris.

Malgré la supercherie, la comparaison reste amusante.

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