Chacun son métier…

“Chacun son métier et les vaches seront bien gardées”, en clair, si chacun ne se mêlait que de ce qu’il connaît parfaitement, tout irait pour le mieux. Je ne me mêle pas de soigner Pierre, Paul ou Jacques, je ne suis ni médecin, ni même infirmière par contre je sais, à peu près, grâce à ma formation, élaborer un questionnaire, le dépouiller et mettre les résultats en forme alors pourquoi, quand c’est possible, ne demande-t-on pas l’aide d’un amateur éclairé plutôt que de laisser la charge à un ignorant aussi motivé soit-il ?

Après Jean de La Fontaine, j’en appelle à un autre fabuliste de la même époque : Jean-Pierre Claris de Florian, simplement dit Florian. Bien qu’il soit mort à trente-neuf ans seulement, il nous a laissé de nombreux écrits parmi lesquelles cette fable : Le vacher et le garde-chasse.

Le vacher et le garde-chasse

Colin gardait un jour les vaches de son père ;
Colin n’avait pas de bergère,
Et s’ennuyait tout seul. Le garde sort du bois :
Depuis l’aube, dit-il, je cours dans cette plaine
Après un vieux chevreuil que j’ai manqué deux fois
Et qui m’a mis tout hors d’haleine.
Il vient de passer par là-bas,
Lui répondit Colin : mais, si vous êtes las,
Reposez-vous, gardez mes vaches à ma place,
Et j’irai faire votre chasse ;
Je réponds du chevreuil. – Ma foi, je le veux bien.
Tiens, voilà mon fusil, prends avec toi mon chien,
Va le tuer. Colin s’apprête,
S’arme, appelle Sultan. Sultan, quoiqu’à regret,
Court avec lui vers la forêt.
Le chien bat les buissons ; il va, vient, sent, arrête,
Et voilà le chevreuil… Colin impatient
Tire aussitôt, manque la bête,
Et blesse le pauvre Sultan.
A la suite du chien qui crie,
Colin revient à la prairie.
Il trouve le garde ronflant ;
De vaches, point ; elles étaient volées.
Le malheureux Colin, s’arrachant les cheveux,
Parcourt en gémissant les monts et les vallées ;
Il ne voit rien. Le soir, sans vaches, tout honteux,
Colin retourne chez son père,
Et lui conte en tremblant l’affaire.
Celui-ci, saisissant un bâton de cormier,
Corrige son cher fils de ses folles idées,
Puis lui dit : chacun son métier,
Les vaches seront bien gardées.

La morale de cette fable confirme ce que chacun sait : il est inutile de vouloir faire le travail d’un professionnel lorsqu’on exerce un autre métier ; chacun est, a priori, réellement compétent dans un domaine pour lequel il a été formé (même si on peut parfois trouver des incompétents dans leur propre emploi).

Si ce proverbe est généralement attribué à Florian, on peut douter car dans Le dictionnaire de Trévoux et dans Le dictionnaire universel de Furetière, tous deux publiés avant la naissance du fabuliste, on trouve à l’entrée “vache” : «On dit, quand chacun se mêle de son métier, les vaches sont bien gardées », preuve que la maxime existait avant Florian qui n’a fait que la reprendre. Cicéron, au Ier siècle avant J.C. écrivait : «Quant quisque norit artem, in hac se exerceat » qu’on peut traduire par « Que chacun s’exerce dans l’art qu’il connaît »et on peut même remonte à Aristote, au IVe siècle avant J.C. pour trouver la même idée.

De Florian nous viennent d’autres expressions populaires :

  • Pour vivre heureux, vivons cachés (fable : Le Grillon)
  • Rira bien qui rira le dernier (fable : Les deux paysans et le nuage)
  •  Éclairer la lanterne (fable : Le singe qui montre la lanterne magique)

On lui doit également la chanson Plaisir d’amour qui ne dure qu’un moment alors que le chagrin d’amour, lui, dure toute une vie. Nana Mouskouri l’a chanté.

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Une réflexion sur « Chacun son métier… »

  1. après tout , La Fontaine s’ est bien inspiré d’ Esope !
    Grâce à toi je découvre Florian, qui malgré sa courte existence nous a beaucoup laissé, y compris cette belle chanson !
    On comprend pourquoi nos ministres sont nuls !

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