Irena n’a pas parlé

Avant de lire cet article, lisez le précédent “Droit et devoir de taire la vérité”, il y a une relation entre ces deux textes.

Iréna Slender/Irena Slenderowa

Merci à Wikipedia pour ces informations et sa photo d’Irina jeune.

Irena Sendlerowa (Irena Sendler), née Krzyżanowska (15 février 1910 à Varsovie – 12 mai 2008 à Varsovie), était une résistante et militante polonaise,  Juste parmi les nations.

Elle est élevée dans une banlieue ouvrière de Varsovie, dans la famille d’un médecin engagé dans l’action sociale auprès des pauvres.

Dès les premiers jours de l’occupation allemande, elle commence à travailler au Département de l’Aide Sociale à la mairie de Varsovie où elle organise l’aide aux pauvres. Dans la section d’aide à l’enfant, un groupe clandestin se forme pour venir en aide aux enfants abandonnés qui sont légion à Varsovie après 1939. Cette aide concerne aussi les enfants sortis clandestinement du ghetto. Certains de ces enfants se sont enfuis par un trou dans le mur du ghetto, d’autres ont été sortis dans des camions de pompiers, des ambulances, sous les ordures… Le groupe prépare des faux papiers (certificats de naissance, enquêtes familiales) pour placer les enfants dans les orphelinats ou familles d’accueil.

Le gouvernement polonais en exil à Londres s’est chargé d’envoyer des fonds et créa  Zegota, une Commission clandestine d’aide aux Juifs. L’action de Jolanta (nom de clandestinité d’Irena) est souvent liée à Żegota alors que ce mouvement n’a vu le jour qu’en septembre 1942 ; Irena et ses collègues opéraient depuis trois ans déjà. La Commission et l’argent qui venait de Londres via les canaux clandestins sont néanmoins arrivés au moment où la vie de plusieurs milliers de personnes cachées du côté “aryen” était en jeu. Bien que les Allemands aient commencé à regarder de plus près les dépenses du Département de l’Aide Sociale – une menace planait sur le groupe – les fonds ainsi alloués par la structure clandestine du gouvernement polonais en exil, ont permis de continuer l’action en contournant les contrôles entrepris à la mairie.

En décembre 1942, la Commission d’aide aux Juifs la nomme chef du département de l’enfance. Elle organise le passage clandestin des enfants du Ghetto vers les familles et les institutions à Varsovie, Turkowice et Chotomow  (près de Varsovie). Le 20 octobre 1943, elle est arrêtée par la Gestapo et emmenée à la prison de Pawiak ; malgré les tortures qui la laissèrent infirme à vie, elle n’avouera rien sur son réseau; elle est condamnée à mort. Żegota réussit à la sauver en achetant les gardiens de la prison.

Au total, elle a contribué au sauvetage d’environ 2 500 enfants juifs. Après la guerre, elle transmet la liste des noms et des familles d’accueil qu’elle a tenue à Adolf Berman, le président du Comité Juif en Pologne. Grâce à cette liste, les membres du comité ont réussi à retrouver environ 2 000 enfants.

En 1965, elle a été honorée à Yad Vashem au titre de « Juste parmi les nations ». En 2003, elle a reçu l’Ordre de l’Aigle Blanc, la plus haute distinction civile polonaise.

En mars 2007, le gouvernement polonais de Lech Kaczynski a proposé qu’elle soit élevée au rang d’héroïne nationale, ce que le sénat a voté à l’unanimité. Le sénat polonais a en outre recommandé sa candidature au prix Nobel pour la Paix. On lui a préféré Al Gore.

Elle a été courageuse, elle n’avait pas trente ans quand elle a commencé à risquer sa vie…

 

 

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Droit et devoir de taire la vérité

Enrichi de références littéraires justes, ce livre résonne, toujours aujourd’hui, d’un écho singulier, puisqu’il renvoie aux responsabilités de l’individu face aux injustices qui l’entourent.Certains ferment les yeux, d’autres non.Injustices ? Pas vues ?

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Pendant la Seconde Guerre Mondiale, celui qui cachait un Juif ou un résistant n’avisait  pas la Gestapo. Mal lui en aurait pris. Il le cachait. C’est tout. C’était un devoir de se taire pour celui qui (le) cachait. Combien l’ont fait ? Qu’auriez-vous fait ? C’est facile, après, de penser être un héros.

Voilà le décor du Vercors : forêts, falaises, et grottes nombreuses

Je viens de Grenoble, le maquis du Vercors n’était pas loin et les histoires de guerre, de résistants, de rafles, de collabos ont rempli ma jeunesse. Et ma grand-mère m’en parlait, elle parlait pour que je n’oublie pas.

Nous éprouvons aujourd’hui du respect pour tous ceux qui se sont tus, torturés par des nazis, en France, comme le docteur Valois à Grenoble.

Les autres, ailleurs, on en parle moins, comme si ça ne nous regardait pas , on sait qu’ il y a eu le Goulag, le régime franquiste, la place Tien An Men, la Birmanie, j’oublie Pinochet et les autres… Le prisonnier torturé qui refuse de livrer ses amis, qui se tait sous la torture, nous pensons qu’il est courageux, qu’il fait son devoir en se taisant. Personne ne lui reprochera un mensonge par omission. Parler, se taire ? Que feriez-vous si c’était vous ? Y avez-vous déjà pensé ?

Se taire, c’est parfois prendre le risque d’affronter la torture et la mort mais c’est aussi, quelquefois, se protéger lâchement et se faire complice d’un crime, d’une mauvaise action. L’Eglise tait des secrets comme on le fait dans la Mafia qui est une grande famille : l’omerta, c’est ça. Pas très catholique, non ?

Il est même de nombreuses professions où l’obligation de se taire est un devoir absolu auquel on ne saurait déroger : le secret professionnel.  Deux catégories retiennent mon attention : médecin et secret médical, prêtre et secret de la confession (même si on lui avoue un crime ! ?).

Outre ce secret professionnel qui interdit de dévoiler à des tiers les aveux faits dans l’intimité du cabinet médical ou du confessionnal, se pose au médecin la question de dire ou non la vérité au patient. Le mensonge par omission à celui qui va mourir : cas de conscience du médecin, des soignants et de la famille. Faut-il dire la vérité ? Si oui, qui,  quand et comment ? Infliger la torture du désespoir ? Donner un dernier coup de fouet au malade pour qu’il lutte une dernière fois ? Tout dépend des circonstances, du médecin, du malade et de sa famille. Je peux affirmer que (j’ai des témoins) des médecins m’ont annoncé ma fin prochaine, il y a bientôt quatre ans, sans aucun ménagement, comme si j’étais un morceau de viande sans cervelle. Et je suis là ! Je vous dis : rebelle. Trompe la mort ? Combien de fois encore ?

Dire la vérité à un mourant qui la réclame et qui est capable de la supporter, c’est sans aucun doute l’aider à mourir dans la lucidité et la dignité, s’il est croyant, c’est en principe un devoir de dire la vérité pour qu’il puisse se préparer à passer de vie à trépas. (Je pense à une dame qui est sur le point de nous quitter et qui a voulu savoir. Elle a toujours été courageuse d’après ce qu’on m’a dit. Je l’ai à peine croisée mais il est des rencontres qui vous marquent. Elle a voulu savoir, ses enfants savent. Ils sont tristes mais l’accompagneront sans mensonge jusqu’au bout.) C’est ce droit à la mort digne pour lequel ma grand-mère a milité.

Le Christ et Socrate ont supporté la vérité de leur fin imminente, et dans quelles douleurs , mais ils l’avaient choisie, encore que ça puisse se discuter pour Jésus : il était l’Elu. Nous ne sommes pas le Christ ou Socrate. Nous avons peur, peur de voir mourir l’autre et peur de mourir. Alors que faire ? Dire ou ne pas dire ? Là est la question ?

En dehors de la question des mourants, que faut-il dire ou taire ?

Que faire quand on sait que quelqu’un est en danger ? Il y a devoir d’assistance à la personne en danger. Alors se taire ? Le prisonnier torturé par les officiels ? Le taire ? Les enfants battus par leurs parents ? Les fillettes violées par leur père ou un étranger ? Les travailleurs exploités ? Et l’animal martyrisé par son maître ? Se taire ? Et l’assassin qui se cache ?  Dans un autre registre, le voisin qui cultive du zamal (marijuana) ? Et celui qui truande la Sécurité Sociale , les ASSEDIC, le Trésor Public ? Se taire ? Et nos députés qui s’arrangent avec les indemnités ? Les ministres qui s’octroient des largesses avec les deniers publics ? Complétez la liste vous-même. Se taire ? Le taire ? Que faire ? Comment faire ? Que feriez-vous ? Qu’avez-vous fait ? Que faites-vous ?

Et qui vous entend ?

Yankelevitch a écrit ” Malheur à ceux qui mettent au-dessus de l’amour la vérité criminelle de la délation ! Malheur aux brutes qui disent toujours la vérité ! ” (Traité des vertus, la sincérité.)

Taire, ne pas dénoncer ? La délation est un mot qui horrifie. Personne ne se sent l’âme d’un délateur. Et pourtant… Il y a eu Judas qui a vendu Jésus pour combien d’écus ? Ganelon ? C’est lui qui a causé la perte de Roland à Roncevaux. Et combien d’autres ? Personne ne veut être le traître, il y en a pourtant un de temps en temps. Pourquoi ? Peur, lâcheté, vengeance, naïveté ou conviction.   Ce qui nous intéresse c’est le silence,  taire la vérité, ce qui est peut être mensonge, obéissance et courage. Quoi qu’il en soit, se taire par intérêt n’est jamais moral. On abuse des autres. C’est  de l’égoïsme. De la peur ? Le mensonge politique est égoïsme. Celui qui refuse de dire la vérité parce qu’il a peur de perdre des voix aux élections se sert des autres, de nous, est immoral. Pourtant quelquefois, il est de notre devoir de parler.

Au fond, tout est question de cas particuliers, il nous faut distinguer le juste, l’humain et l’équitable. Il y a des cas de conscience : “Il ne faut pas toujours dire tout, car ce serait sottise ; mais ce qu’on dit, il faut qu’il soit tel qu’on le pense, autrement c’est méchanceté” d’après Montaigne. Dans les “Maximes, pensées et paradoxes” de Rivarol, on peut lire la même idée exprimée différemment « La raison se compose de vérités qu’il faut dire et de vérités qu’il faut taire ».

C’est dire que le droit de se taire n’est bien sûr pas un droit universel. Il est parfois permis de se taire quand on connaît la vérité : pour ne pas nuire. Il n’en reste pas moins vrai que les circonstances de ce droit restent exceptionnelles. Jusqu’où se taire ?

L’idéal reste une société où la vérité serait une valeur unanimement respectée (quelles que soient les conséquences ?). C’est un idéal et n’est-ce pas un ou le suprême mensonge de croire que la vérité est toujours possible ? Utopiste, je vous ai déjà dit.

Je cherche la vérité, partout, dès que je peux. Pour en faire quoi ?

Et vous que faites-vous ?

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