Le créole à l’école ? Non pas de kreol a l’ekol !

Nana encore pailles en queue, mais lé un vrai misère, nana beaucoup moins que dans le temps lontan à cause ban’ monde la construit trop d’zaffaires, la mette grillages sur la falaise, zoizo y gagne pi nicher comme avant.”

Ma tentative de “parler créole à l’écrit” se heurte à la graphie ; “mon zyé, mon tête ac mon dwa i konné pa vrémen komen i fo ékrir”.  Oui je vous écrirais bien en créole, mais comment ?

C’est une langue parlée pas écrite, n’en déplaise à certains intellectuels qui ont trouvé de quoi  briller à peu de frais et se constituer une rente. “Intellectuels” métropolitains organisant dictionnaire, graphie créole. Je rêve, je cauchemarde plutôt… Une chose est certaine, je m’énerve et je ne dois pas être la seule.  Je vais essayer d’expliquer la situation le plus objectivement possible.

Je commence donc par ce qui me gêne le plus et qui m’amène à écrire cet article : le créole et pire, Lékritir Kréol.

Je le dis (et je le répète) le créole est une langue de tradition orale !

L’écriture créole « Lékritir Kréol » est une graphie phonétique du créole réunionnais, inventée à la Réunion en 1977 par un collectif d’intellectuels désireux de défendre l’identité réunionnaise et baptisée “Lékritir-77”. Peu utilisée, car trop compliquée  (des k, kw…) pour écrire une langue dont les mots sont d’origine française, elle est presque totalement abandonnée à l’heure actuelle, remplacée par la graphie 83, puis par la graphie 2001. Pas clair pour le commun des mortels !

Exemple d’écriture 77 extrait du livre “La Réunion humoristique” (éditions Jacaranda)

“Mwin mi koné pa si zot y compran sat mi diazot. Sa sé l’ékritir 77. E si ou lé pa kontat, pren konstan ! Si bann touris i rod somin sinpir, di a zot na in vil i apèl Saint-Pierre mé lé ékri si pankart in lot fason…” Traduction : « moi, je ne sais pas si vous comprenez ce que je vous dis. Ca, c’est l’écriture 77. Et si vous n’êtes pas contents, « pren konstan » (traduit : c’est pareil ?). Si les touristes cherchent le chemin pour Saint Pierre, dites-leur qu’il y a bien une ville qui s’appelle Saint Pierre mais sur les pancartes, c’est écrit d’une autre manière ».

Note : « pren konstan » ; personne autour de moi ne connaît cette expression.

Photo prise près de chez moi par le journal local “Le Quotidien de la Réunion”.

A Saint Denis de la Réunion, en 2011, le maire a fait mettre de nouveaux panneaux qui, vous vous en doutez, n’ont pas fait l’unanimité. « Mi dis à ou, l’argent n’en a, alors y faut dépenser ! » Si ce n’est pas gaspiller l’argent public, ça ! Pas de quoi acheter les fournitures scolaires des enfants des écoles de la commune, mais « faire couillonnises », c’est possible ! « N’a point rien pour faire, donc ? »

Graphies 77, 83, ou 2001 : « Finalement personne y connaît comment y faut écrire vraiment. » Moi, j’ai tendance à dire « comme en français, seule la syntaxe change ! » Graphie créole « endictionnarisée », masturbation intellectuelle de gens qui s’ennuient et qui ont trouvé une poule aux œufs d’or. Il y a des commissions et des « machins » pour réfléchir à la langue créole, oui, oui, et on les paie pour ça ! Il y a des tas d’autres choses à faire, non ?

Bon, mais la langue créole, c’est quoi au juste ?

Je le dis fermement : « Une adaptation orale régionale de la langue française. »

Bien qu’issues d’une base commune : le français, les langues créoles sont devenues incompréhensibles entre elles : un Réunionnais ne comprend pas bien un Mauricien et encore moins un Martiniquais ou un Guadeloupéen.

L’isolement causé par l’insularité explique la distance prise avec la langue française, qui a (elle aussi) évolué en métropole depuis le XVIIe siècle, sans compter, dans les îles, l’apport des langues étrangères : mots en provenance de Madagascar (pour la Réunion), d’Asie (Chine ou Inde), d’Afrique ou d’Amérique du Sud pour les Antilles.

Le créole de la Réunion est un développement autonome de la langue rurale et  maritime des régions ouest de la France du XVIIe siècle : breton ou angevin qui ont laissé leurs noms aux familles et aux lieux-dits : familles Lebreton, Langevin ou Hoareau. Les Français qui s’établissaient à la Réunion étaient pour la plupart illettrés, marins, charpentiers le plus souvent, quelquefois paysans, de condition sociale proche de celle des groupes ethniques avec lesquels ils entraient en relation : vocabulaire limité au nécessaire. En peu  de générations, leur langage s’est “créolisé” accentuant l’écart entre la langue des nantis, lettrés (?) des classes dirigeantes et celle du reste de la population, longtemps maintenue dans l’ignorance, l’obscurantisme, voire même en état de servilité pendant la période coloniale.

Le peu de considération de la langue créole, qualifiée de “vulgaire patois” ou de “méchant dialecte” par la culture dominante, le manque de considération pour ce langage méprisé impliquait une honte pour ceux qui le parlaient : les inférieurs. Toutefois, le créole était la langue de communication de tous les nouveaux arrivants : ciment de la population ! C’était la seule langue comprise et utilisée par tous, adaptée selon les besoins.

Le créole s’est naturellement répandu dans toute l’île avec de nombreuses variantes locales. Aujourd’hui, les variantes évoluent encore différemment selon qu’on est en ville ou dans les écarts.

Les accents et les mots varient d’un coin à un autre de la Réunion et on distingue : le créole des Bas, des Hauts, de Saint Denis, des cirques, des Cafres, des Malbars ou des petits blancs sans compter que le créole se francise et le français continue à se créoliser, mais n’est-ce pas le propre d’une langue vivante que d’évoluer ? Si l’on ajoute les effets conjugués de la télévision et d’internet, le créole n’a pas fini de changer. Tant mieux ! Il n’y a que les morts qui ne changent plus. Les langues comme le grec, latin ou d’autres encore que je ne connais pas, n’ont que des dictionnaires et de rares livres pour les faire connaître. Les créoles ont la musique : n’est-ce pas ce qu’il y a de plus vivant ? et la rue, la vie quotidienne, la COUR de l’école…

La langue française est à la Réunion, comme dans tous les départements français, la langue officielle. Elle est donc aussi celle de l’enseignement.

Si certains élèves, défavorisés par leurs origines, ignorent en entrant à l’école tout ou partie de la langue dont ils sont censés acquérir la maîtrise, il faut les aider à franchir ce cap difficile. Accueillir en créole mais enseigner en français pour ne pas laisser la population en situation d’isolement : la créolophonie borne l’horizon aux frontières de l’île. Il faut aujourd’hui maîtriser la langue officielle : le français et, en plus, une langue internationale reconnue comme telle : l’anglais..

Si, depuis novembre 2000, le créole réunionnais a acquis officiellement le statut de langue régionale, à ce titre son enseignement est proposé en option dans les établissements scolaires de l’île, il n’en reste pas moins vrai que la graphie de cette langue est contestée et contestable. Quels enseignants et pour quelle langue ?.

Un concours de professeur des écoles «spécifique» a récemment été créé pour former les enseignants du primaire et pour ceux du secondaire, un CAPES de créole. La première session a eu lieu en juin 2002. Ce CAPES créole ne prend pas en compte la diversité des créoles parlés à la Réunion et dans les autres DOM, il est loin donc de faire l’unanimité. Et qui réussit le concours ?

Face à un analphabétisme qui ne régresse pas et face à des jeunes qui ne ressentent ni la nécessité, ni l’envie de s’exprimer en français, pour de multiples raisons dont le désespoir : pas de travail… cette maîtrise de la langue française orale et écrite est redevenue aujourd’hui la priorité de l’école. Le phénomène ne touche pas que la Réunion, il touche aussi la métropole avec les « dialectes » qui ont aujourd’hui cours dans les banlieues. Comment unifier la France, en faire véritablement un état laïc et uni si ce n’est par l’utilisation d’une langue commune. Il ne s’agit pas de nier ce qui existe depuis plus ou moins longtemps, mais il faut que les régionalismes, particularismes, clanismes et autres distinctions restent ce qu’ils sont : des coutumes ou des langues vivantes en parallèle. Il n’y a aucune nécessité à codifier et surtout à officialiser les « dérives ».

Le traité de Villers-Cotterêts (août 1549) signé par François I° visait à unifier le pays ni plus ni moins : tenue d’un état civil et utilisation d’une langue commune officielle dans laquelle tous les actes devaient être rédigés.

Grâce à ces lois, la vie publique du pays était  liée à l’emploi scrupuleux du français, ignorant superbement les particularismes locaux.

Le manifeste du groupe qu’on appellera plus tard la « Pléiade » proclame, dix ans après l’ordonnance de Villers-Cotterêts, l’excellence et la prééminence du français en matière de poésie. L’attachement résolu à la langue française répond à des exigences politique, juridique et littéraire. C’est cette même exigence qui a conduit Richelieu à décider de la création de l’Académie française en 1635 pour « donner à l’unité du royaume forgée par la politique une langue et un style qui la symbolisent et la cimentent ».

En matière de langage, l’incitation, la régulation et l’exemple sont des armes bien plus efficaces que l’intervention autoritaire (l’exemple, oui… alors là avec ce qu’on entend à la télévision ou à la radio, on peut se faire du souci).

Les perfectionnements apportés à la langue par l’Académie et les grammairiens, l’influence non négligeable des populations protestantes émigrées, font que le français a débordé rapidement, aux XVIIe et XVIIIe siècles, le cadre de la nation. Le français est la langue de l’aristocratie et des personnes cultivées dans tout le Nord de l’Europe, en Allemagne, en Pologne, en Russie… C’est aussi la langue de la diplomatie. Tous les grands traités sont rédigés en français, alors qu’ils l’étaient auparavant en latin. L’empire de la langue française dépasse largement l’empire politique et économique de la France. Heureuse époque, désespérément  révolue Et pourtant nous avons une langue « si sexy, si romantique »… Que sont devenues les journées de la francophonie ? J’ai l’impression qu’elles font moins recettes. Il y a d’autres priorités : “top-model” de la langue française, les télé-réalités. Misère, misère…

Toutes les provinces de France ont usé dans la vie quotidienne, jusqu’au début du XXe siècle, de langues plus ou moins éloignées du français de Paris, mais l’attrait qu’exerçait le pouvoir central sur les élites locales et la pression exercée sur les enfants du peuple par les instituteurs de l’école laïque (les hussards noirs de la république) encourageait l’usage de la langue officielle. Force de persuasion de ces fonctionnaires zélés !

Ma grand-mère me racontait les séances, où agenouillées sur des épingles, la « bonne sœur » (pas d’instituteur ; école religieuse en Maurienne en 1908 ou 10) leur inculquait les règles de grammaire. De vieilles personnes se souviennent aussi de l’histoire du bâton que le maître mettait le matin entre les mains du premier enfant surpris à «parler patois» (savoyard, dauphinois, breton, alsacien, basque, flamand, corse, picard, ou provençal : l’occitan qui a pourtant des écrits pour l’officialiser). Le porteur du bâton devait veiller à (s’en débarrasser au plus vite) donner le bâton au premier camarade qu’il surprendrait lui-même à «parler patois». À la fin de la journée, le dernier porteur de bâton était puni. Ce procédé s’est révélé très efficace pour faire de la langue française le patrimoine commun et le principal facteur d’unité du peuple français.

Pas besoin d’en revenir là mais il faut maîtriser correctement la langue nationale, ciment de la patrie. Laisser les dialectes, patois ou langue créole dans la cour de l’école, la vie quotidienne, familiale, amicale.

Pour moi, le créole est une langue de l’amitié, de la sympathie, de l’amour. Laissons la libre !

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