Le Chat, la Belette et le petit Lapin

En écrivant mon avant-dernier billet “le français à l’Élysée”, j’avais pensé à Tintin et au château de Moulinsart ainsi qu’à la fable de La Fontaine. Je reviens sur celle-là aujourd’hui car plus que jamais il me semble que le “ôte-toi de là que je m’y mette” est à la mode. Ne trouvez-pas que les gens qui veulent sans droit occuper la place d’un autre et qui n’ont pour mobile qu’une ambition impatiente sont de plus en plus nombreux ?

Le Chat, la Belette, et le petit Lapin, une fable de La Fontaine… Voilà bien longtemps que je n’avais pas écrit sur mon blog (par manque de temps) et encore plus longtemps que je n’avais pas décortiqué un texte littéraire mais le prof sommeille toujours quelque part et quand je vois la misère de l’expression et de la culture qui ne cesse de progresser, je tente de transmettre un peu de mes connaissances.

Je vous propose une mini explication de texte avant de vous offrir la possibilité de lire la fable originelle à la fin du billet.

Dans cette fable, pleine de vie, La Fontaine présente l’épineux problème du droit de conquête. Il se sert d’animaux familiers et pittoresques (l’ingrate belette, le perfide chat et le pauvre petit lapin) pour camper ses personnages. La fable est ponctuée de dialogues amusants, elle est teintée d’ironie pour transmettre un enseignement : la raison du plus malin est toujours la meilleure (ce n’est pas le plus costaud qui gagne mais le plus rusé ; notre époque le confirme bien. Malheureusement.).

Pour en revenir à La Fontaine et sa fable, le premier personnage est la Belette qui affirme sa supériorité et sa volonté en faisant rimer son «moi» avec «loi» et «octroi». C’est un animal sournois et rusé selon l’auteur mais qui, cependant, ne surpasse pas le chat dans l’art de la tromperie. Si elle est audacieuse, elle manque de méfiance et se confie naïvement au premier chat venu. N’existe-t-il pas un proverbe qui énonce « à malin, malin et demi » ?

Le deuxième personnage est un lapin, animal qui n’est guère associé à un vice ou à une qualité humaine : il est peureux, ce n’est pas vice mais handicap. Le lapin ne peut être qu’une victime et là, le petit janot l’est doublement : la belette lui confisque le «logis paternel» et le chat finit par le croquer. Le Lapin est un personnage un peu ridicule, grandiloquent : il est «maître et seigneur». La Fontaine le peint ici comme faisant partie de la société des courtisans, montrant leurs habitudes : aller « faire à l’aurore sa cour » mais on peut généraliser aujourd’hui en disant qu’il essaie de se faire bien voir pour gagner quelques avantages. Dans la fable, cela a de fâcheuses conséquences : pour s’être trouvé dans la chambre du roi, Jean Lapin en a perdu la sienne (eh, c’est bien connu : « qui va à la chasse perd sa place. »). Le Lapin est un agité (ça ne vous rappelle personne ?) ; on le voit bien : il « était allé faire à l’Aurore sa Cour » » (…) « après qu’il eut brouté, trotté, fait tous ses tours » ; l’absence de conjonction de coordination dans ce vers suggère la rapidité et la répétition des gestes du lapin son agitation est confirmée par les verbes de mouvement montrant un va-et-vient perpétuel, rapide et cadencé.

Le troisième personnage (animal) est le chat. Il n’apparaît qu’à la fin mais son importance est grande. Dans le titre de la fable, il est cité en premier car c’est lui qui a le dernier mot de cette sombre histoire. Ce «saint homme de chat, bien fourré, gros et gras» (hypocrite et rusé) n’hésite pas à jouer le vieillard cacochyme, malade au point qu’on le plaindrait presque (Oh, le pauvre vieux ! «Je suis sourd, les ans en sont la cause.»)  mais « Grippeminaud » trompe tout le monde, Il suffit de lire la fin de l’histoire. Le chat n’est pas un grand parleur, il préfère agir. Raminagrobis parle sur un ton confiant, marqué par l’apostrophe familière « mes enfants » et la répétition de « approchez » (vers 39 et 40) qui le fait apparaître comme une figure paternelle et protectrice, ce qui est loin d’être la réalité.

Autant le Lapin est agité autant le Chat semble lent : l’absence de mouvement correspond à la vieillesse du Chat qui a perdu sa vivacité mais surtout cela annonce la fin de la Belette et du Lapin ; l’assonnance en “an” me semble funèbre (devant, enfants, les ans en sont la cause. ne craignant nulle chose. contestants, temps, croquant) et associée à l’allitération en n, on ressent une impression de lieu feutré, sombre, angoissant.

Attention : l’expression « bien fourré » est un jeu de mots qui évoque la fourrure du chat et rappelle une expression figurée : « un chat fourré » désigne aussi un juge.

Cette fable est satirique, à la fois cruelle et comique. La Fontaine se moque des faux dévots et des magistrats ainsi que des courtisans et de leurs efforts pour être remarqués par les Grands de la Cour, pour un regard du roi.

La Fontaine titille peut-être aussi le roi (ce qui était risqué, face au Roi Soleil) mais nous pouvons voir dans la belette le Roi qui avait un esprit de conquérant. Dame belette a d’ailleurs un langage politisé « la terre/Etait au premier occupant./C’était un beau sujet de guerre » puis elle invoque une « loi » et décide de traduire l’affaire en justice.

Si la belette réclame des « lois civiles » le lapin allègue un autre argument : « la coutume et l’usage » : c’est preuve de sa faiblesse et de la faiblesse de son argumentation. Montesquieu, un peu plus tard, dira que «le bien public n’est jamais que l’on prive un particulier de son bien» seulement le petit Lapin et La Fontaine ne pouvaient pas devancer les philosophes des Lumières.

Quant à la morale de cette fable :

Ceci ressemble fort aux débats qu’ont parfois
Les petits souverains se rapportant aux Rois.

Une chose est certaine, le Chat devenu magistrat croque le Lapin et la Belette. Quelle drôle de justice ! 

Les choses ont-elles changé ? Et comment ?

***********

Le Chat, la Belette, et le petit Lapin

Du palais d’un jeune Lapin
Dame Belette un beau matin
S’empara ; c’est une rusée.
Le Maître étant absent, ce lui fut chose aisée.
Elle porta chez lui ses pénates un jour
Qu’il était allé faire à l’Aurore sa cour,
Parmi le thym et la rosée.
Après qu’il eut brouté, trotté, fait tous ses tours,
Janot Lapin retourne aux souterrains séjours.
La Belette avait mis le nez à la fenêtre.
O Dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître ?
Dit l’animal chassé du paternel logis :
O là, Madame la Belette,
Que l’on déloge sans trompette,
Ou je vais avertir tous les rats du pays.
La Dame au nez pointu répondit que la terre
Etait au premier occupant.
C’était un beau sujet de guerre
Qu’un logis où lui-même il n’entrait qu’en rampant.
Et quand ce serait un Royaume
Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi
En a pour toujours fait l’octroi
A Jean fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume,
Plutôt qu’à Paul, plutôt qu’à moi.
Jean Lapin allégua la coutume et l’usage.
Ce sont, dit-il, leurs lois qui m’ont de ce logis
Rendu maître et seigneur, et qui de père en fils,
L’ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean, transmis.
Le premier occupant est-ce une loi plus sage ?
– Or bien sans crier davantage,
Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis.
C’était un chat vivant comme un dévot ermite,
Un chat faisant la chattemite,
Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.
Jean Lapin pour juge l’agrée.
Les voilà tous deux arrivés
Devant sa majesté fourrée.
Grippeminaud leur dit : Mes enfants, approchez,
Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause.
L’un et l’autre approcha ne craignant nulle chose.
Aussitôt qu’à portée il vit les contestants,
Grippeminaud le bon apôtre
Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre.
Ceci ressemble fort aux débats qu’ont parfois
Les petits souverains se rapportant aux Rois.

Share

3 réflexions sur « Le Chat, la Belette et le petit Lapin »

  1. On peut même remonter à Esope dont La Fontaine s’ est inspiré, pour affirmer sans crainte que rien ne change vraiment dans la société !
    Si, peut être, qu’ aujourd’ hui, nous n’ avons personne d’ assez futé pour la dénoncer.
    Qu’ importe, ça n’ y changerait rien !
    Passe une bonne journée Françoise
    Bisous

  2. LA FONTAINE décrivait la vie à la cour ! et ses animaux ressemblaient fort aux courtisans et aux seigneurs de l’époque !
    Non, rien n’a changé ! cour et courtisans sont toujours là et le peuple paie !
    Merci Françoise d’être revenue nous voir ! je ne serai plus la seule à rouspéter !!!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *