Esperanto

Quand j’avais sept ou huit ans, j’ai découvert, en lisant la “Sélection du Reader’s Digest” de ma grand-mère, qu’il existait une langue idéale à mes yeux de petite fille : l’esperanto. J’ai harcelé, en vain bien sûr, ma mère de  me trouver une école espérantiste et de m’y inscrire.  “Décidément, cette enfant est folle” disait mon charmant beau-père. Puis le temps a passé et, alors que j’approchai la cinquantaine, j’ai rencontré des espérantistes dans une rue du Mans.

Comme je suis curieuse et bavarde, je les ai questionnés longuement et je les ai quittés avec une brochure de documentation. J’ai presque honte d’avouer que j’ai renoncé à l’envie d’apprendre cette langue inventée, pas si simple à acquérir. Finalement l’anglais comme langue universelle, pourquoi pas ?  Ce n’est pas si compliqué. C’est peut-être même la plus simple à maîtriser. Je ne suis pas une linguiste mais avec l’expérience, c’est ce que je crois.

Aujourd’hui, je maîtrise ma langue maternelle, je me débrouille pas trop mal dans d’autres langues parlées communément. J’ai renoncé au chinois, impossible à apprendre pour moi, à l’hébreu, à l’arabe, au russe, au japonais, à l’araméen et à toutes les autres langues créées qui sont de plus en plus nombreuses.

Comme si le châtiment divin de la Tour de Babel n’avait pas suffi à compliquer la vie et la communication, il existe des tas de langues inventées comptant peu ou pas de locuteurs.

Je commence par l’esperanto. C’est en 1887 que Louis-Lazare Zamenhof, sous le pseudonyme Doktoro Esperanto (Docteur qui espère) publie le projet Langue Internationale, une langue universelle facile à apprendre par tout le monde. Cette langue a connu un rapide développement dans les premières années, donnant lieu à des publications et des rencontres internationales. mais de multiples modifications, demandées par quelques-uns, entraînèrent une division au sein du groupe des espérantistes en 1907 et la création d’une nouvelle langue, l’ido, qui se voulait plus pratique et plus logique. Cette dernière n’eut toutefois pas le succès escompté alors que l’espéranto voyait sa popularité grandir. L’apparition des premières méthodes d’apprentissage en ligne au début des années 2000, puis de cours d’espéranto sur des sites de masse comme sur Duolingo en 2015 suscitent un regain d’intérêt pour l’espéranto. Cette langue a trouvé tout de même trouvé un public puisqu’elle serait aujourd’hui parlée dans cent-vingt-cinq (125) pays différents. Lesquels ? Je ne sais pas.

Créé quelques années après le volapük, en1880, inventé par Johann Martin Schleyer (un prête catholique allemand) afin de servir de langue auxiliaire internationale. Comme on peut le constater aujourd’hui, ce ne fut pas un immense succès. On peut connaître le nom de cette langue mais personne qui la parle.

Plus tôt, il y a eu des tentatives comme le grammelot au XVe siècle. Issu de l’art théâtral, il consiste à élaborer un discours, compréhensible pour le spectateur, à partir de sons et d’onomatopées, qui démontrerait ainsi que le langage peut être négligé au profit des mimiques dans la communication.

Le vendergood, en 1906, fut imaginé par un petit génie des mathématiques et des langues, âgé de huit ans, William James Sidis : un langage basé sur le latin et le grec. À  cet âge-là, n’avez-vous pas inventé de langage, vous ? Moi j’ai tenté des trucs façon javavavanavais. C’est le propre des enfants que d’être créatifs, d’avoir de l’imagination. Plus tard, chez les adultes, un signe de quoi au juste ? Toujours de la créativité ou un symptôme de folie ?

J.R.R. Tolkien créa le sindarin en 1917 pour être la langue des Elfes Gris (ou Sindars) du «Seigneur des Anneaux», langue inspirée du gallois et du vieil islandais. Le sindarin n’est qu’une des multiples langues composées par Tolkien pour donner vie à la Terre du Milieu.

De nombreux projets de langues construites se sont succédés : le loglan (et son dérivé, le lojban) inventés afin de tester l’hypothèse linguistique de Sapir-Whorf.

Le nadsat en 1962 est l’argot inventé par l’écrivain britannique Anthony Burgess pour son roman “Orange mécanique”. L’auteur souhaitait en effet inventer un langage intemporel et s’est donc inspiré des sonorités russes, du français, du hollandais ou encore de la culture gitane. (“Si on allait prendre un verre de moloko hyper concentré au Karova, mes drougies ?” ou “La Durango 75 ronronnait karacho”.)

Mais c’est l’année 1974 qui marque un tournant dans l’histoire des langues inventées, lorsque, pour la première fois, un linguiste est engagé pour créer une langue pour une œuvre audiovisuelle : la linguiste Victoria Fromkin a créé le paku (ou pakuni) pour la série télévisée “Land of the Lost”. Ce processus a été reproduit plusieurs fois pour des films ou des séries afin que la fiction semble plus réaliste, surtout si elle se déroule dans un univers imaginaire (la volonté de leur créateur n’est pas qu’elles aient des locuteurs réels).

En 1980, le leetspeak est né sous l’impulsion de développeurs informatiques et ne comporte pas de règles orthographiques précises. Il se compose de «caractères graphiquement voisins des caractères usuels» et doit une partie de son succès à la relative discrétion qu’il offre sur le Net puisqu’il ne peut être automatiquement repéré à l’aide de mots clefs. Le talossan a été inventé par Robert Ben Madison, il est à la fois l’un des langages artistiques les plus célèbres sur le Net mais aussi l’une des langues fictionnelles les plus fournies (avec 28 000 mots dans le dictionnaire officiel ;  il est largement inspiré du français et du provençal).

Successivement sont arrivés : —

  • le láadan en 1982 : une langue construite par Suzette Haden Elgin afin d’étudier l’hypothèse Sapir-Whorf qui soutient que les représentations mentales dépendent des catégories linguistiques, c’est à dire que la façon dont on perçoit le monde dépend de notre langage.
  • le klingon en 1984 est une langue fictive créée par Marc Okrand pour la série Star Trek.  De nombreux fans de la série en maîtrisent aujourd’hui les rudiments. Tout comme le salut vulcain on peut dire qu’elle connait « longue vie et prospérité ».
  • l’atlante en 1996, une autre création Marc Okrand, pour le film Disney L’Atlantide , sa syntaxe se rapproche un peu des langues amérindiennes et sumérienne. Elle n’est pas facile à apprendre parce qu’elle se lit en boustrophédon, c’est à dire alternativement d’abord de gauche à droite puis de droite à gauche et inversement.
  • le toki pona en 2001, langue minimaliste inventée par la linguiste et traductrice canadienne Sonja Lang et inspirée de la philosophie du Tao. Elle ne comporte que 120 mots, ce qui en fait à ce jour la langue la plus concise au monde. (il ne faut pas aimer la précision).
  • l’Oou en 2003, c’est le langage émoticône qui permet de communiquer brièvement à l’écrit grâce l’utilisation d’expressions faciales.
  • le na’vi en 2009 a été créé spécialement pour le film Avatar par le linguiste Paul Frommer et comporte environ 1400 mots. Agréable à écouter pour le spectateur, simple à prononcer pour les acteurs tout en s’éloignant d’une langue humaine connue.
  • le dothraki, 2009 aussi, est la langue des cavaliers du même nom dans le «Trône de fer» (ou “Game Of Thrones”) de George R. R. Martin. Si les rudiments de ce langage existent dans le bouquin, la série filmée a exigé de développer une véritable langue pratiquée seulement dans les films.

Voilà l’inventaire réalisé aujourd’hui, j’ai volontairement fait l’impasse sur le novlangue (langue officielle d’Océania, inventée par George Orwell pour son roman “1984”, publié en 1949 et le fourchelang utilisé dans “Harry Potter” de J.K. Rowling, mais il y a sans doute des oublis et la liste peut encore s’allonger si les “créatifs” persistent.

En ce qui me concerne, j’en reste au trio classique “français, anglais, espagnol”. Si je trouve du temps libre, peut-être irais-je voir Duolingo pour me mettre à l’esperanto.

« Ne voyez-vous pas que le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera rigoureusement délimité. Toutes les significations subsidiaires seront supprimées et oubliées. […] Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ de la pensée de plus en plus restreint.» George Orwell, “1984”

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2 réflexions sur « Esperanto »

  1. bonjour Françoise, bravo pour ton énumération de langues nouvelles inventées, effectivement l’espéranto est le mieux , semble le mieux placè, personnellement je n’en ai pas la moindre idée, ça m’avait semblé seduisant, mais plus difficile a apprendre que l’anglais, j’ai appris moi meme quelques rudiments d’anglais, surtout lus, ça ne m’a pas empeché de faire 38.000kms en voiture aux USA sans parler anglais !! je crois qu’une nouvelle langue n’apportera rien de plus , pour les echanges internationaux , bonne journée, amities et bises

  2. Et bien tu m’en apprends aujourd’hui, je n’aurais jamais cru qu’il y avait eu autant de tentatives !
    Comme il est difficile sans toucher à des égos, d’imposer une langue existante, l’ espéranto aurait pu être la solution !
    L’anglais pourquoi pas !
    Mais quand même, du temps de la messe en latin, tout chrétien pouvait suivre une messe dans le monde entier !

    Bonne journée Françoise
    Bisous

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