La Joconde Réunionnaise

Aujourd’hui, je ne rouspéterai pas, je me repose (j’essaie), je vais vous parler d’art et de La Réunion. Je vous raconte une histoire vraie à propos d’un tableau dit “La Joconde Réunionnaise“. On ne connaît ni le nom du peintre, ni celui du modèle et pourtant, ce tableau anonyme, sans titre, est pour les Réunionnais le plus célèbre du musée Léon Dierx car nombreux sont ceux qui en ont chez eux une reproduction.

Voilà la mystérieuse «Joconde réunionnaise» dont l’image a fleuri sur les murs de Saint-Denis-de-la-Réunion quelques jours avant le 20 décembre 1981 (le 20 décembre, c’est la Fête de l’abolition de l’esclavage dans le département).

À l’occasion d’une visite au musée Léon-Dierx, Emmanuel Genvrin, auteur et directeur du théâtre Vollard, est tombé en arrêt devant un tableau. Véritable coup de foudre. “Manu” n’a plus qu’une seule idée en tête : obtenir une reproduction de ce tableau pour en faire l’affiche de sa première pièce « Marie Dessembre »..

En 1981, le musée Léon-Dierx est dirigé par Suzanne Greffet-Kendig, conservateur des Musées Départementaux de La Réunion. Emmanuel Genvrin lui demande l’autorisation de reproduire le tableau, le portrait d’une jeune esclave, pour illustrer l’affiche de sa pièce «Marie Dessembre»  malheureusement il essuie un refus catégorique. Suzanne Greffet-Kendig se retranche derrière des considérations d’ordre technique (il faudrait enlever la vitre qui protège l’œuvre).

À cause de ce refus du conservateur, l’histoire se corse : un membre du personnel du musée propose à Emmanuel Genvrin de lui ouvrir discrètement le bâtiment à vingt-deux heures tapantes pour prendre la belle en photo. À l’heure dite, l’auteur est au rendez-vous avec un photographe (chinois de La Réunion) équipé d’un appareil spécial pour les reproductions. La porte du musée s’entrouvre, les deux hommes entrent sans bruit ; le tableau est au mur, il est décroché et les intrus se rendent compte qu’il est très facile de retirer la vitre qui le protège. La photo est prise et moins d’une heure plus tard, le travail est terminé. Tout est remis en place. Ni vu, ni connu.

Un beau matin,  quelques jours plus tard, les affiches de «Marie Dessembre» sont placardées dans les rues de Saint-Denis-de-La-Réunion, elles annoncent la pièce du théâtre Vollard qui sera jouée pour la première fois le 12 décembre 1981, au “Grand Marché”.

Au musée Léon Dierx l’ambiance est lourde. Comment ce tableau a-t-il pu être reproduit sur des centaines d’affiches ? Mystère. De colère, le conservateur le «remise à la cave». personne ne le verra. Na. Voilà la punition ! Dès lors, le portrait de la jeune esclave passe alternativement de la lumière des projecteurs à l’obscurité de la cave : confiscation, restauration, exposition, oubli ?

Petite histoire de ce tableau : d’où vient-il ? Les archives du musée possèdent peu d’informations, pas même le nom de l’artiste qui l’a réalisé, ni celui du modèle qui a posé. Le portrait est entré dans les collections du musée Léon Dierx en 1913, c’était un don du comité constitué à Paris par Marius et Ary Leblond, le 25 août 1911, pour la création du musée de La Réunion. Il a été peint au début du XXe siècle et représente (sans aucun doute) non pas une Créole de La Réunion mais plutôt une Antillaise. (À La Réunion, être créole ne signifie pas être blanc né outremer – définition officielle – mais être né à La Réunion).

Compte tenu de la couleur de sa peau et de ses vêtements, la jeune fille est certainement une esclave, tout à fait la Marie Dessembre qu’Emmanuel Genvrin imaginait.

Une lithographie du musée Léon Dierx, par Antoine Roussin.

Toujours le même bâtiment, le même décor, seule la circulation a changé. Il y a des feux tricolores à l’angle du jardin et des encombrements bien souvent

Une précision, Emmanuel Genvrin est un zorey ou plutôt une zoréole, il est né à Chartres. Le voilà ! Merci Wikipedia !
Portrait-Emmanuel-Genvrin.jpg
J’ai été une fidèle de toutes ses premières pièces :
  • 1981 : Marie Dessembre
  • 1982 : Nina Ségamour ou la vie passionnée d’une reine de beauté
  • 1984 : Tourouze
  • 1985 : Colandie
  • 1987 : Runrock
  • 1988 : Étuves
  • 1990 : Lepervenche, chemin de fer  (très original : repas-spectacle)
  • 1992 – Carousel.
  • 1994 : Votez Ubu Colonial

Je vous parle de Marie Dessembre demain.

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6 réflexions sur « La Joconde Réunionnaise »

  1. …incroyable cette histoire, de ce magnifique portait d’une jeune esclave !! il est bien dommage que cette belle oeuvre, reste cloitrée dans une cave , Mr le conservateur ! je ne connaissais pas Emmanuel Genvrin, mais il a eu une bonne idée de diffuser cette oeuvre sous forme d’affiche, bonne journee chere Françoise, bisous

  2. Voilà j’ai retrouvé l’URL de votre blog et j’y suis revenue aussitôt. Je suis tombée “en amour” devant ce tableau de la Joconde réunionaise et l’histoire de son image est incroyable. Elle mériterait sa place dans un de nos musées.
    Je vous retrouve bientôt afin de voir si vous râler ou pas lol…
    belle journée
    chatou

  3. C’est une histoire épatante, le portrait magnifique, et je ne comprends pas pourquoi cette personne était si négative concernant ce tableau ! Un peu de courage et voilà bravo pour cette belle initiative !
    J’aime beaucoup le Lauragais où j’ai vécu longtemps ainsi qu’à Toulouse, si tu vas à ce petit resto dont je parle tu me diras ce que tu en as pensé ! Je peux te trouver le n° de téléphone !
    Bonne soirée

  4. Superbe tableau !
    Dommage qu’il soit passé aux oubliettes, mais tu es là pour le remettre en bonne place, heureusement …
    Bon jeudi, en espérant moins de pluie car l’humidité est partout …
    Dehors, tout est détruit …
    Bisoux, ma françoise

  5. le conservateur a une attitude bien étrange, puisqu’ on ne connait ni le peintre, ni la peinte !
    Une oeuvre est faite pour être connue par le plus de monde possible, et donner l’ envie de voir l’ original !
    Merci à Genvrin d’ avoir permis ces reproductions !
    D’ autant que l’ oeuvre est bien jolie !

  6. Merci de ton passage.Je ne connaissais pas l’histoire de ce beau tableau de la Joconde Réunionaise.Je trouve ce tableau plein de charme même s’il est anonyme il a beaucoup de valeur…
    Bonne journée.
    baba

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