Les Chinois Picards

Je lis régulièrement les blogs de deux ou trois Picardes et Picards qui parlent avec amour de leur région (que je ne connais pas). Ils montrent des paysages, des monuments divers mais je n’ai pas souvenir d’avoir lu un billet sur le cimetière de Noyelles que je viens de découvrir par hasard en écoutant, en arrière fond sonore, FR3. Il existe, paraît-il, un petit coin de Chine en Picardie : le repos éternel des Célestes.

Des centaines de milliers de Chinois (qu’on appelait des “Célestes”) sont venus en France à partir d’avril 1917 en alliés car, par traité, signé jadis par l’Impératrice Douairière Tseu Hi (Cixi), ils ne pouvaient combattre, contrairement aux soldats Annamites de nos colonies d’Indochine (Vietnam, Cambodge, Laos).

Ces Chinois, pour la plupart recrutés dans les provinces du sud de la Chine, les régions attenantes à Canton (Guandong), Shanghaï, Jinan (Shandong) et Hong Kong (Zhejiang), furent employés par le Chinese Labour Corps (CLC) au titre de travailleurs volontaires. Ils furent occupés, principalement par l’Armée Britannique, à des tâches ingrates ou difficiles comme le terrassement des tranchées, le ramassage des soldats morts sur le champ de bataille, le déminage des terrains reconquis et la blanchisserie où leur réputation était sans égale, les services de santé. Ils œuvrèrent auprès des malades, particulièrement ceux atteints de la fameuse grippe espagnole qui fit 17 millions de morts en Europe ; bon nombre de ces “infirmiers” chinois en moururent. Infatigables ils surprenaient les européens par leur endurance et leur joie de vivre.

Ils étaient répartis en compagnies et chacune était composée d’un officier, de huit sous-officiers et de cinq cents hommes vêtus d’un uniforme bleu sombre ressemblant aux tenues de travail chinoises encore utilisées dans la pratique du Kung-Fu Wushu lors des fêtes du Nouvel an.

Les Français, eux, bénéficiaient du soutien de leurs colonies du Sud-Est asiatique, des contingents de Tirailleurs Anamites mais l’Etat Major, qui doutait de la valeur combative de ces soldats, les cantonna à des tâches de maintien de l’ordre ou à la garde des monuments officiels et des ministères. Leur accoutrement et particulièrement leur chapeau conique, leur valut rapidement le qualificatif de “pékins” auprès des militaires. (Le sobriquet est resté et un “pékin” désignait un planqué.)

Tous ces “travailleurs” chinois, puisqu’ils ne combattaient pas, étaient regroupés dans des camps. Ils se nourrissaient “à la chinoise” et bon nombre d’Anglais et de Français ne dédaignaient pas leur ordinaire qui les changeait du sempiternel “singe” ou “corned-beef”.

 Ce sont donc ces Chinois qui plantèrent dans la Somme les fameuses “laitues de glace”, les “choux chinois” (Pet-saï ou Pak Choï) ainsi que le soja.

Au moment de l’armistice, on compta au total plus de 96 000 “coolies” qui transitèrent par les camps picards et à un moment ils se retrouvèrent à Noyelles, village sans histoire, situé entre Abbeville et Boulogne. 

Les conditions d’hygiène n’étaient pas bonnes et le climat inhabituel pour ces Chinois du Sud de la Chine ; nombre d’entre eux tombèrent malades et près d’un millier décédèrent dans l’hôpital de campagne du Native Labour de Noyelles.

Comme bon nombre de ces travailleurs n’avaient pas de famille connue ni les moyens de faire rapatrier leurs corps en Asie, ils furent donc enterrés dans un champ situé près de cet hôpital. Peu à peu le cimetière prit de l’ampleur ; en 1918 on dénombrait déjà près de 800 tombes. Ils continuèrent à mourir de maladie après la guerre, jusqu’en 1921. 
L’Armée Anglaise décida alors d’aménager les cimetières très nombreux dans la Somme puisque la bataille du même nom fut, en quelque sorte, leur “Verdun” avec plus de 400 000 morts. Une subvention spéciale fut votée pour la création du Cimetière de Noyelles à qui on donna des caractéristiques rappelant la nationalité de ceux qui y étaient enterrés. 
Il fut officiellement inauguré le 23 mars 1920.

Le cimetière lui-même se trouve sur une légère butte en pleine campagne et compte 849 tombes de marbre blanc portant des inscriptions en chinois et en anglais et le nom du travailleur si celui-ci est connu. On y trouve bon nombre de Li, Chang, Chen, Wu, Tang, Wang et de Ma puisqu’il n’existe, en Chine, qu’une petite centaine de patronymes (j’ai appris ça l’an dernier à Nankin). Bon nombre de ces Chinois ne savaient pas écrire leur nom, pas même en Chinois ni à plus forte raison en langue occidentale, ils portaient donc une plaque avec un simple numéro qu’on retrouve sur les tombes mais afin que la tombe ne soit pas une simple plaque anonyme, comme celle qu’ils portaient autour du cou de leur vivant, les autorités anglaises eurent l’idée de choisir et de traduire une formule chinoise pour chacun d’entre eux : “A noble duty bravely done” (un noble devoir bravement effectué), “A good reputation for ever” (Une bonne réputation pour l’éternité”, “A good felow and a fierce worker” (Un bon camarade et un sacré travailleur), ” A little man but a great heart” (Un petit homme mais un grand coeur).

Le Major Ware avait souhaité que les arbres plantés dans les cimetières militaires rappellent le pays d’origine de ceux qui y sont inhumés. Le choix des pins et des massifs de chrysanthèmes n’est  dû au hasard. Diversité…



L’entrée du village de Noyelles est, paraît-il, agrémentée par deux magnifiques “Chen Fo” ou “Gardiens de Bouddha”, (Chen = gardien, celui qui protège ; Fo = Bouddha), des “lions chinois” appelés par erreur “Chiens Fous”. Ces sympathiques animaux furent offerts à Noyelles par la ville chinoise de Tungkang lors du jumelage entre ces deux villes, en décembre 1984.

Pour en finir avec ces “volontaires”, après la victoire de 1918, officiellement 3 000 d’entre eux préférèrent demeurer en France et furent recrutés par l’industrie, particulièrement par les usines Louis Renault de Boulogne Billancourt et les usines Panhard et Levassor situées avenue d’Ivry dans le XIIIe arrondissement, formant ainsi le premier noyau de la communauté asiatique française. Cette communauté compta parmi ses membres des éminents révolutionnaires comme Zhou Enlai, Deng Xiaoping, qui, plus tard, formeront l’élite de la politique révolutionnaire chinoise sans oublier leurs éminents confrères vietnamiens : Ho Chi Ming et Nguyen The Truyen qui furent formés à bonne école.

Plusieurs Chinois, demeurés sur place en Picardie, se sont mariés  et ont eu une descendance désormais bien picarde.

Il y a donc aujourd’hui des Picards aux yeux légèrement bridés. Vive le métissage ! Vive cette France métisse, celle qui nous a donné l’équipe de foot de 1998 : vainqueurs, nos “bleu, blanc, beur” !

Une tite rigolade :

C’est pour ça, moi la dernière fois, j’ai voté contestataire
Au moins lui, il tient ses promesses, il a les épaules sur terre
Avec lui l’Europe elle sera française, et chacun sera chez soi
Il a promis qu’il augmenterait le pouvoir des chats
Enfin je fais des plans sur la gourmette parce qu’on n’en est pas là
Avec tous les cons en France c’est sûr que jamais il passera

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3 réflexions sur « Les Chinois Picards »

  1. Rien à voir avec les Chti’s? Je me souviens d’un feuilleton quand j’étais gosse “L’homme du Picardie”, souvenirs….
    Bises et amitiés.

  2. j’ ai vu qu’ il y avait aussi Nolette, près d’ abbeville !
    J’ ignorais totalement cette histoire, qui montre que la France ne réservait pas toujours le meilleur accueil aux étrangers !
    Mais en ce qui concerne les chinois, je vois que malgré tout, ils ont su s’ intégrer !

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