Jouer autrement

J’ai joué, avant-hier, la corde sensible en vous disant que je devais vous abandonner pour aller m’occuper de ma petite-fille de trois mois, momentanément sous ma garde. Faute de place dans une crèche, pour un mois, ma grande fille m’a confié son bébé et je suis la Nounou. C’est bien de voir autant un petit-enfant mais c’est aussi un peu trop. A chaque âge ses plaisirs, je suis Grand-mère et pas Maman.

Là, je ne joue pas la corde sensible, je ne  cherche pas à vous émouvoir, au contraire, voyez comme je peux être réaliste et vous sembler sans coeur. Je suis heureuse d’être avec Morgane ; je la change, je la berce, je la fais rire, mais c’est de la fatigue que d’être à son écoute en permanence. J’ai envie de dire “ce n’est plus de mon âge”, c’est bien ça, au fond. Je profite quand même de ces instants avec ma petite Lionne. Ils sont si fugitifs ces rires et ces sourires édentés. Dommage qu’il y faille entendre des pleurs quand elle a faim ; elle refuse encore les biberons et ne veut que le sein de sa maman. Pas facile ni pour elles : la mère et la fille, ni pour moi.

Je joue cartes sur table, je vous parle clairement. C’est dans ma nature d’agir ainsi. Jouer carte sur tables c’est jouer à jeu découvert, en faisant voir ses cartes à ses adversaires, c’est agir franchement, loyalement, sans rien cacher de ses intentions. Le contraire de l’hypocrisie, de la stratégie, des coups bas, de la fourberie, de la duplicité, en  quelques mots : le contraire du modèle de vie actuelle, où il faut paraître, sembler, avoir l’air… en trois mots, c’est le contraire de jouer la comédie, afficher des sentiments que l’on n’éprouve pas en prenant telle ou telle attitude, ou prendre part à la représentation d’une pièce de théâtre ou de la comédie humaine. Je suis la grand-mère que je suis, tant pis si je ne corresponds pas à votre modèle de grand-mère idéale. D’ailleurs, elle est comment la grand-mère rêvée, parfaite ? Mon petit-fils, le grand frère de Morgane, semble apprécier les moments passés en ma compagnie, nous faisons des tas de choses  (même un peu des bêtises).

Normal, je n’aime pas jouer le jeu de l’ordre établi, faire quelque chose en respectant les conventions. Je préfère agir comme bon me semble quitte à passer pour une illuminée (je reste toujours raisonnable), une naïve, une rebelle, voire une demeurée égoïste (ce qui est faux). Pensez ce que vous voulez, je préfère jouer franc jeu : agir honnêtement, en mon âme et conscience. Toujours. Je sais que je suis sensée, que je ne nuis à personne.

Pour en revenir à mon baby-sitting du mois, j’aurais pu jouer la fille de l’air (prendre la fuite, disparaître discrètement, m’évader vers l’île Maurice, par exemple) mais j’ai un rôle à jouer dans la vie de mes enfants et petits-enfants. Jouer un rôle dans quelque chose, c’est y avoir une part, une influence, c’est participer activement, avoir son utilité et les grands-mères sont très utiles. La mienne est toujours présente, chaque jour, dans mes souvenirs ; elle m’a appris tant de choses… par exemple à parler et à utiliser des expressions (je vous rappelle que ma mémé, la  Savoyarde, de Saint-Michel de Maurienne, parlait patois au début de sa vie et que le passage obligatoire au français ne s’est pas fait dans la douceur.)

Elle m’a appris la dignité aussi (un truc qui se perd) : savoir se faire respecter, c’est ne pas jouer les martyrs, prendre des airs de martyr, faire celui qui a à supporter tous les maux. Ce n’est pas non plus jouer des coudes, des pieds ou des mains, se démener pour sortir d’une foule, se faire une place au soleil par tous les moyens. Il faut respecter l’autre. C’est jouer gagnant, prendre un risque ou des risques, en pensant qu’on a toutes les chances de gagner, c’est tenter sa chance en espérant avoir la baraka (Clic LA pour baraka). Certains préfèrent jouer perdant : se faire plaindre et attendre. C’est faire le jeu de ceux qui veulent diriger : on joue les victimes, on se fait plaindre, aider, manipuler, assister, dominer. On peut jouer le jeu de quelqu’un : agir volontairement ou non dans l’intérêt de ce quelqu’un mais ce n’est pas malin ; on est pris à son propre jeu. Il faut de temps en temps savoir  jouer le tout pour le tout, prendre tous les risques pour obtenir le résultat recherché : si je veux être libre, je dois briser les chaines. Jouer gros, prendre beaucoup de risques, mais quand le jeu vaut la chandelle… Je sais aussi que pour jouer des mâchoires (manger), on peut être obligé de se compromettre, mais juste un instant. Se restaurer puis jouer des flûtes (ou jouer des jambes) : s’enfuir rapidement. C’est sans doute jouer un jeu dangereux, mais on a rien sans rien.

Jouer la carte de quelque chose, c’est essayer quelque chose, parier sur quelque chose parmi plusieurs possibilités offertes. Pour manger à sa faim, trouver un emploi, c’est souvent partir, quitter ses racines avec le courage que ça implique. Vers quels cieux ? Comment ? Avec quoi à l’arrivée ?

Pour l’heure, il faut que j’arrête de jouer avec les mots, de m’amuser avec vous, je vais jouer mon va-tout, jouer ma dernière carte ou plutôt jouer toutes mes cartes et en finir avec ma “petite” liste d’expressions :

– au casino : jouer la couleur, à la roulette, parier sur rouge ou noir ;

– au stade, jouer la défense : s’en tenir à des actions défensives ;

– au théâtre, jouer les utilités, n’avoir qu’un emploi subalterne et accessoire.

– et dans la vie de tous les jours, en termes plus ou moins populaires, on peut jouer petit bras : pour un sportif, ménager ses efforts, donc agir sans conviction. On peut aussi jouer un sale tour, jouer un tour de cochon à quelqu’un, commettre une action qui lui est préjudiciable et il n’y a pas de quoi être fier. Jouer un tour pendable à quelqu’un, lui jouer un méchant tour semble moins cruel et vicieux que le tour de cochon, mais c’est une opinion toute personnelle. Vous pouvez aussi jouer avec le feu (prendre des risques inutiles), jouer à qui perd gagne (lorsqu’un désavantage apparent procure un avantage réel) ou jouer à quitte ou double (risquer, hasarder tout, pour se tirer d’une mauvaise affaire) et jouer de bonheur (réussir dans une affaire où l’on avait à craindre d’échouer ce qui est nettement mieux que le contraire de jouer de malheur ou jouer de malchance, avoir la scoumoune (clic ICI pour lire l’ancien article). Certains aiment jouer de la prunelle, jeter des œillades, faire quelques signes des yeux pour s’embellir la vie auprès de l’autre sexe. D’autres préfèrent jouer en bourse : spéculer (en ce moment, ils feraient mieux de jouer au loto ou à Euromillions, c’est presque plus sûr). Beaucoup choisissent de jouer la carotte : jouer chichement et en ne hasardant que le moins possible. On ne peut leur reprocher de vouloir jouer sur plusieurs tableaux... Mais réussir implique prendre de vrais gros risques et seul, pas en faisant payer les autres : plus sots, plus faibles, plus … moutons. `

Dans le monde actuel, c’est ceux qui “se la jouent fine”, qui “jouent au plus fin“, qui finissent par régler ou traiter leurs affaires avec habileté ou ruse, et surtout à nos dépens.

Il ne faut pas confondre se la jouer fine avec “se la jouer” qui signifie plutôt quelque chose comme “frimer” ou “se vanter”, ce qui est très tendance aussi mais les joueurs ne sont pas les mêmes et les conséquences de leurs jeux sont différentes elles aussi.

À vous de jouer maintenant !

C’est le moment pour vous d’agir en ajoutant des commentaires et/ou de nouvelles expressions. Je suis sûre que vous en avez et que j’en ai loupé certaines.

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12 réflexions sur « Jouer autrement »

  1. Je pensais passer le weekend avec mon fils mais un petit virus de saison me chatouille le nez , une légère fièvre qui m’a fait gardé le lit un peu longtemps aujourd’hui et me cloue chez moi.
    Sinon je n’ai pas cette joie d’être grand-père , je n’ai pas de fille et mes deux garçons sur ce sujet ne sont pas pressés .
    Mais il me serait agréable de jouer avec eux , peut-être que,je dis cela pour compenser ce manque
    J’aime bien parcourir tes articles , j’y apprends toutes les tournures imagées de notre belle langue.
    Passe ,Françoise , une douce journée
    Bisous
    timilo

  2. Bonjour Françoise,
    Tu m’as fait jouer ce matin, avec toutes ces expressions et tu sais que j’adore ça, jouer avec la langue française ! c’est pour cela que je la défends contre tous les anglicismes.
    Par contre, je n’en trouve pas d’autres, là, sur l’instant.
    Tu es une bonne grand-mère, ne t’en fais pas, chacune réagit à sa manière.
    J’ai également dit à ma fille que je voulais avoir du temps pour moi et que je ne garderai pas Sasha toute la journée, même si je l’adore !
    Gros bisous et donne-moi des nouvelles, si tu en as, pour ton projet.

  3. Toutes ces façons de “jouer” m’ont donné le tournis !
    Mais, soyez sans crainte, vous êtes une bonne grand-mère ! Moi aussi, j’étais heureuse d’avoir mes petits-enfants jadis, mais…ça fatigue ! et encore, le grand-père me donnait un bon coup de mains ! Un jour que j’avais dit à mon médecin à ROBION que je ne prenais les petits qu’à partir de 3 ans, il m’avait répondu :”mais c’est normal, vous ne pouvez plus ! La nature est ainsi faite; la preuve, une femme ne peut plus avoir d’enfants à partir d’un certain âge” ! Et pourtant qu’est-ce que je les aimais ces petits !
    J’en reviens à votre texte qui m’a fait rire ! La franchise (jouer franc jeu), il n’y a que ça de vrai ! Pourquoi faire semblant et vouloir paraître ?
    Merci pour ce rire du matin….

  4. Bonjour Françoise
    ton jeu carte sur table est impressionnant! Tu me diras je suis à peu près pareil car quand j’ai à dire quelque chose il faut que je le dise, peu importe qui j’ai en face de moi. J’y mets les formes s’il le faut car je n’aime pas blesser inutilement, mais ce qui doit être dit ne reste pas enfoui.
    Alors c’est sur, on ne se fait pas que des amis mais bon cela évite d’avoir autour de soi tout un tas de monde qui croyant te faire plaisir s’ingénie à des interminables parades de faux semblants.
    Je te souhaite une journée ensoleillée au réel comme au figuré.
    Antonio

  5. “Jouer au mariol” : faire le malin. Origine : vient de l’Italien mariolo, qui au XVI signifiait, filou.
    “Jouer du pipeau” : mentir pour plaire. Origine : ici le pipeau est l’appeau utilisé par les chasseurs pour attirer les oiseaux.
    “Jouer au chat et à la souris” : laisser des espoirs à une personne que l’on a vaincu d’avance.
    “Jouer au kéké(e) : faire le frimeur.
    Très bonne nuit. Pimprenelle.

  6. tu pouvais difficilement envoyer ta fille aux pelotes !
    Le jeu, c’ est ce que nous offre la société, cela lui permet de cacher l’ essentiel, et aussi, nous entraine dans la même veine, ce qui implique qu’ on finit par ne plus savoir où nous en sommes !
    j’ ai aussi cette habitude de donner brutes mes convictions, ce qui n’ est en aucune façon une volonté de refuser le dialogue avec qui aurait des idées différentes !
    à propos des enfants et petits enfants, je te comprends, et avoue que j’ ai grand plaisir à les voir arriver, mais que lorsqu’ ils repartent, je pousse un discret petit ” ouf ” !

  7. OH QUE JE TE COMPRENDS! quand j’ai mon petit fils qui pourtant n’est pas turbulent, je n’en peux plus au bout de deux jours. faut dire que je suis toujours sur le qui vive car peur qu’il fasse une crise d’asthme et aussi qu’il passerait des heures sur la play; C’est un enfant, enfin il grandit, un jeune à problèmes (psycho, difficulté d’estime de soi enfin …)et il faut toujours être dessus soit pour renforcer son estime, soit pour le pousser…
    alors ouf, chaque fois que c’est le départ même si je regrette de ne plus le voir aussi souvent que lorsqu’il était bb

    tu sais quoi, ici ça sent le brulé: croyant tourner le bouton du four sur arrêt, j’ai tourné sur P (pyrolyse) adieu les meringues!!!! dommages elle étaient si belles dans le four
    allez au lit, demain j’attaque trois jours de 12 heures!
    gros bisous et belle semaine

  8. Merci pour cet ajout, Cardamome et merci aussi à Pimprenelle qui a fait d’autres suggestions.

  9. Chère Françoise,
    Merci pour ton sympathique commentaire, ce matin !
    Je suis venue tous les jours et comme j’ai commenté ton dernier article, je n’ai rien mis depuis. Ou alors tu en as publié d’autres que je ne vois pas !
    Par contre, ce week-end va être chargé, mon fils et ma belle-fille devaient rentrer ce soir de Venise, ils sont coincés là-bas (grève dans les services publics) et rentreront quand ? aussi je vais prendre leurs trois garçons.
    Cela bouge partout, et jusqu’où cela ira-t-il ? j’entendais de très mauvaises nouvelles pour l’Espagne, aussi.
    Gros bisous et bonne journée.

  10. Coucou Françoise !!! Sourire
    Quel génial article !!! Non seulement il est écrit avec BEAUCOUP de Talent mais en plus, il nous révèle Un Toi que j’aime beaucoup, beaucoup !!! immense sourire
    Enfin quelqu’un qui joue “carte sur Table”… Grand-Mère c’est bien, mais faut pô en abuser !!! éclat de rire
    Enfin bref, être Mamie mais avec Bon escient & parcimonie !!! Sourire
    Je te souhaite un excellent vendredi ainsi qu’un très doux week-end !!! Sourire Radieux
    Tendres Bisoudoux
    ***Tincky***

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