Mal-être enseignant

Si on croyait jadis son enfant en sécurité dans le temple protégé du savoir, si on avait confiance en l’instituteur comme on a confiance aujourd’hui au pilote de l’avion quand on s’installe sur son siège (on sait maintenant qu’on a peut-être tort, eh, ho, le pilote suicidaire, vous ne l’avez pas oublié celui-là),  donc si on avait encore confiance en l’école, peut-être que ses serviteurs se porteraient mieux. Ce n’est pas le cas.

Là, comme ailleurs, on veut désormais voir ce qui se passe dans le système. Après tout ce qui s’est dit, les scandales de prêtres et d’enseignants pédophiles, on peut avoir peur mais chacun veut voir, surveiller, mettre son grain de sel juste pour être rassuré ou pour se donner de l’importance.

Le droit de regard, parlons-en. Il faudrait regarder tout l’ensemble avec attention pas seulement chercher à savoir si le prof a bien fait son travail (d’ailleurs comment le juger ?), s’il a eu un mot ou un geste déplacé, s’il est assez ou pas assez souriant, disponible, etc.

On considère souvent que les profs ont des conditions de travail privilégiées (vacances, horaires) c’est bien méconnaître la réalité quotidienne des classes : l’inconfort, le bruit, l’attention, les responsabilités… Il est difficile d’imaginer la complexité des tâches des enseignants. Quand les parents ont du mal avec leurs enfants (un, deux ou trois), pensent-ils ce qu’est la vie avec vingt-quatre, trente voire trente-six élèves plus ou moins jeunes ? Je ne le crois pas. Leurs enfants sont des anges, des modèles de gentillesse et de politesse. Imaginent-ils, les parents, ce qui se déroule dans les cours de récréation au lycée, au collège, en primaire et même dès la maternelle ? Avoir l’œil à tout, être flic, assistante sociale, enseignant, pas toujours facile ce cumul !

Comme ils se sentent de moins en moins soutenus par la société et par le système (leurs supérieurs hiérarchiques se protègent), comme ils se sentent soupçonnés d’être responsables des problèmes de l’école, comme ils doivent en outre affronter le public (élèves et parents), comme ils sont face à une pluralité d’exigences en raison des changements sociaux et des transformations de l’institution éducative, ils se sentent mal aimés,  sont déstabilisés et souffrent d’un sentiment de culpabilité. En résumé, le « malaise au travail » observé aujourd’hui dans de nombreuses professions, fait de déprimes, de burnout, d’épuisement physique et moral n’épargne pas les enseignants ; il prend pour eux des caractéristiques bien spécifiques dont personne n’a réellement conscience. Il faut être ou avoir été prof pour comprendre. Certes il y a des bons et des mauvais enseignants mais ils sont tous mis dans le même panier et certains plus sensibles, plus passionnés par leur métier sont malheureux.

Le travail n’est plus seulement le face-à-face avec des élèves, il y a tout le reste. Chez mes anciens collègues, j’ai constaté l’accroissement du surmenage (certes ils ont vieilli et résistent peut-être moins bien) mais l’augmentation de la charge de travail, de la paperasserie est indubitable ainsi que la succession des réformes, le tout avec des classes souvent surchargées en raison de suppressions de postes. Je ne crois pas que  les enseignants soient fragiles ou plus fragiles qu’avant mais l’organisation du système, de plus en plus calquée sur celle des entreprises, grâce aux idées géniales d’énarques déconnectés de la vraie vie. 

Quand les profs osent enfin exposer leurs problèmes, la hiérarchie leur reproche de manquer d’autorité et ils savent, en outre, qu’on leur fait porter la responsabilité de l’échec scolaire.                                                                                                                               

Une petite couche de plus pour comprendre ? Pourquoi donc les profs craquent-ils aujourd’hui ?

Vous avez tous entendus parler des enseignants agressés dans leur classe à coups de couteau, de cutter, de coups de poings par des élèves, par des éléments extérieurs : parents, amis ; il n’y a pas que des mythomanes comme celui qui a fait récemment déplacer Najat, il y a de vraies victimes ainsi André Argouges à Grenoble. Si un lycée porte ce nom c’est que le 10 mai 1983. André Argouges, 57 ans, proviseur du lycée technique Jean Bart à Grenoble, est mortellement poignardé par un élève de 17 ans qu’il vient de sanctionner pour vols.  Aujourd’hui, les profs sont harcelés sur les réseaux sociaux, au téléphone et même agressés verbalement et physiquement sur les parkings après que leurs véhicules aient été vandalisés.

Savez-vous combien de suicides d’enseignants il y a chaque année scolaire ? Je me souviens d’une année noire à Saint-Denis de La Réunion  où trois collègues ont mis fin à leurs jours en quelques semaines. Mais on fait silence. Ça ne se dit pas : il s’est suicidé. La honte pour lui, pour la famille, les proches, le système. Les profs sont les travailleurs les plus exposés au suicide : 39 pour 100 000 d’après une étude de l’Inserm or ces suicides font moins de bruit que ceux de France Télécom ou ceux qui ont lieu dans la police (se suicider avec un stylo, pas facile !).

Une étude épidémiologique de la MGEN (Mutuelle générale de l’Éducation nationale) montre que les enseignants souffrent significativement d’affections spécifiques : insomnies, migraines, zonas, affections des voies respiratoires… sans être toutefois davantage atteints par la dépression que les autres professions. Il n’y a pas que des malades imaginaires, des hypocondriaques, non, certains somatisent vraiment.

Il parait que 93 % des enseignants – davantage dans le secondaire que dans le primaire – jugent leur profession dévalorisée et que près de la moitié désirerait changer de métier (tout en restant au sein de la fonction publique… Ce sont des pères et mères tranquilles ça. Pourquoi ne pas devenir gardiens de chèvres par exemple ? Au grand air ! Loin du bruit; ce serait du changement). Moi, j’avoue, je suis partie en retraite avant l’heure.

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3 réflexions sur « Mal-être enseignant »

  1. Coucou chère Françoise, nous avons peu passé notre année ensemble, mais je tenais à te remercier quand même pour ton amitié de longue date depuis OB, tu es toujours dans mes pensées. J’espère que tout va bien ma douce amie. Prends soin de toi.

    Dernier vendredi de l’année ou je te rends visite, on se retrouve

    le 4 janvier 2016. Je ne vais pas t’oublier ne t’inquiète pas, je fais

    le vœu de te retrouver en pleine forme et avec le sourire.

    J’ai programmé quelques articles au cas ou tu passerais.

    Je te souhaite de très jolies fêtes de fin d’année en famille ou entre amis.

    Pour les personnes seules, il existe des associations et des familles

    qui accueillent généreusement pour les fêtes. Il faut le savoir…

    Je t’embrasse. Joyeux Noël à toi et à tous !

    Lolli

  2. Bonjour Françoise. J’ai lu avec intérêt votre article sur les enseignants . Je me souviens d’un temps où les parents aidaient les enseignants, moralement, en faisant constater à leurs enfants combien les maîtres étaient admirables ! Et on les admirait comme il se doit ! Parents et enseignants marchaient “main dans la main”. Et si tout venait de ce laxisme actuel qui rend l’enfant intouchable ? Ce dernier a tous les droits très souvent….Question d’éducation ! celle-ci est pratiquement inexistante…le respect n’est plus….
    Et peut-être qu’il n’est pas bon non plus que les élèves soient trop copain/copain avec l’enseignant au point de l’appeler par son prénom ? Et nos professeurs avaient tous une tenue “correcte”, ce qui n’est plus toujours le cas…
    En résumé, tout est à revoir….Que chacun se “cantonne” dans son rôle…Les parents actuels ont pris l’habitude de se “décharger” sur l’enseignant de ce qui les gêne !
    Je pense que les jeunes sont comme on les a faits …. Tout n’était pas mauvais jadis, tout n’est pas bon maintenant ! on a trop oublié qu’il existait “un juste milieu”….
    Que les enseignants actuels soient “sur les nerfs”, c’est compréhensible !

  3. On a voulu mettre l’ enfant avant l’ enseignant, mai 68; grave erreur !
    Sans discipline, rien n’ est possible.
    De plus on n’ arrête pas de changer les programmes, impossible d’ avoir une stabilité.
    On ne peut pas dire non plus que les enseignants ont des salaires à la hauteur de leur tâche.
    L’ embêtant dans l’ histoire, c’ est qu’ au final, en voulant que tous les élèves soient diplômés, en ignorant le mérite, on fait de plus en plus de cancres

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