Je me promène avec les fées, de temps en temps, depuis quelques jours. Je parlerai de Morgane la fée sans doute bientôt, mais pour l’heure, en évoquant la fée Carabosse dans un récent billet (clic), je me suis souvenue qu’ici, à la Réunion, nous avons aussi une sorte de sorcière : grand mère Kalle. Ce n’est pas une sorcière de l’école d’Harry Potter, elle n’a pas de grand chapeau noir, ni de balai volant, ni de baguette magique, elle ne sort pas de Poudlard, elle est réunionnaise. Blanche ou noire ? Les avis sont partagés…
Grand-Mère Kalle ou Kal est un personnage légendaire de l’île de la Réunion, effrayant dont on continue (encore un peu, si peu) à menacer les enfants désobéissants. Grand mère Kal, c’est un peu le croque-mitaine réunionnais, utile pour faire peur aux enfants mais qui effraie parfois les adultes. C’est surtout un souvenir de l’époque où il n’y avait pas la télévision, ni l’électricité, ni beaucoup de livres, c’était il y a moins de cinquante ans. Grand-Mère Kalle a repris un peu du poil de la bête ces dernières années ; en réaction contre l’importation commerciale d’Halloween, quelques personnes ont tenté de ranimer Kalle ; ça frémit…
Grand-Mère Kalle est plutôt une vieille femme aux allures de sorcière ; elle apparaît souvent sous cet aspect, mais les contes créoles, de tradition orale, varient d’une nénène* à l’autre, d’une famille à l’autre… Légende obscure et maléfique qui oppose le mythe terrifiant des noirs marrons sanguinaires à celui des chasseurs blancs (chasseurs de nègres), son rôle est d’effrayer… pour calmer.
* Le mot nénène signifie en créole de la Réunion, bonne d’enfants ou nourrice. Autrefois, il s’agissait souvent de jeunes filles, parfois d’enfants, pauvres ou orphelines, placées par leur propre parenté dans des familles plus ou moins aisées. Elles perdaient leur prénom pour devenir « Nénène ». Elles y étaient préposées à la surveillance des enfants mais participaient aussi à toutes les autres tâches ménagères. Elles demeuraient au sein de la famille jusqu’à leur mariage. Parfois elles n’en partaient jamais. On pourrait dire aujourd’hui qu’elles étaient exploitées mais dans le contexte social de l’époque, cela évitait à bien des fillettes l’humiliation d’être « ramassées » par l’Assistance Publique. Avec l’avènement des lois sociales, les nénènes sont devenues des employées de maison et ont perdu leur rôle affectif. Evolution de la société et du langage.
Le personnage de Grand-Mère Kalle est associé à l’esclavage et au volcan : le Piton de la Fournaise, où elle côtoie souvent Grand Diable, qui est son époux dans certaines histoires. Est-elle blanche ou noire ? Qui sait ? Au choix du narrateur ou de l’imagination des enfants.
Grand-Mère Kalle aurait bien existé mais les versions divergent. Kalla ou Kalle étant selon les versions soit une esclave marronne* qui se serait suicidée et qui hanterait la côte ouest de l’île, soit une méchante propriétaire, ce qui explique que l’on évoque quelquefois, à tort, Madame Desbassyns.
* marronne : marron(ne) qui s’est marronné, qui s’est enfui.
On la dit originaire de Mahavel, dans le sud de l’île, Mahavel qui passe pour être un des hauts lieux de la sorcellerie à la Réunion. Kalle se manifeste encore, longtemps après sa mort, dans la croyance populaire, tantôt sous les traits d’une affreuse vieille sorcière, tantôt sous ceux d’un grand oiseau noir qui vient planer, le soir au-dessus des maisons.
Grand Mère Kalle, c’est aussi un jeu « ti marmaye » (jeu d’enfant). Un enfant est désigné pour être grand-mère Kalle, il prend une « toile » (foulard, serviette, paréo) qu’il met sur sa tête pour se cacher et ne pas voir. Les autres enfants lui demandent : « Grand-mère Kalle, quelle heure il est ? » et Grand-mère Kalle de répondre une heure de son choix, disant qu’il n’est pas très tard, etc. L’heure avance et lorsque Grand-mère Kalle dit « minuit», elle se rue sur le joueur le plus proche. Celui-ci devient Grand-mère Kalle à son tour s’il est touché.
Influence de la Mère-Patrie et créativité locale… Ici, tout est mélange : population, cuisine et langue. Vous pouvez relire mon billet sur la langue créole en cliquant LA.
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