Une enfance en exil ou les enfants de la Creuse. Par hasard, ce jeudi matin 21 novembre 2013, j’ai entendu, sur FR3, parler de l’exil des enfants réunionnais. Un voile de silence était tombé pendant des années sur cette affaire. Honte des deux côtés de l’océan ? Peurs ?
De 1963 à 1982, plus de 1 600 enfants, (certains annoncent le chiffre de 3 000) nés à La Réunion, ont fait l’objet de « transfert forcé » vers la métropole, pour repeupler des régions touchées par l’exode rural.
C’est il y a six ou sept ans, au hasard d’une discussion, que j’ai appris un grand nombre de détails sur cette histoire. La dame qui m’a raconté cela était issue d’un milieu populaire, pauvre, du Chaudron (une partie de Sainte Clotilde, quartier de Saint Denis de La Réunion). Ma narratrice, Edwige, m’a raconté ses galopades dans le quartier pour échapper à l’assistante sociale. Un comble, non ? L’assistante sociale aurait dû aider les familles, les enfants et non pas être le bras de l’État dans cette sale besogne d’enlèvement. (C’était bien ça : une kidnappeuse officielle. Inconsciente ? Aveuglée ? Intéressée ?) Edwige m’a parlé d’une voiture rouge qui «patrouillait» et embarquait des enfants. Vérité ou fable « façon Grand Mère Kalle) pour faire peur aux marmailles pas sages que l’on menaçait ainsi d’être punis.
Une chose est certaine maintenant, les petits Réunionnais embarqués vers la Mère-Patrie, généralement issus des classes pauvres, qui formaient le contingent des « Enfants de l’Assistance » n’étaient pas forcément orphelins ou abandonnés. Beaucoup de familles, illettrées, se sont laissées manipuler par une administration « persuasive », affolée par la croissance démographique ; elles ont quelquefois signé les autorisations exigées, convaincues que leurs rejetons partaient pour l’El Dorado, un avenir meilleur et qu’ils reviendraient régulièrement dans l’île. D’autres ont « perdu » leurs enfants : enlevés. Ni plus ni moins. La plupart de ces familles n’a jamais pu revoir ses petits déportés.
La semaine dernière, pour commémorer le cinquantenaire du début de ces « déplacements », j’ai envie d’écrire « déportations », une statue de bronze a été installée à Gillot, devenu aujourd’hui aéroport Roland Garros (un célèbre dyonisien, je le rappelle). La voilà, photo empruntée au site « réunionnais du monde.com ».

Récemment, une délégation réunionnaise s’est rendue à Paris, au ministère de l’Outremer, pour présenter ce film «Une enfance en exil» dont je parlais au début, film réalisé par William Cally et co-écrit par Sudel Fuma, historien local. La délégation était conduite par Jean-Phillipe Jean-Marie, président de l’association « Rasinn Anler » et Jean-Jacques Martial, président du Comité de commémoration du cinquantenaire de l’exil forcé d’enfants réunionnais dans les départements français entre de 1963 à 1982. (Une autre projection a eu lieu à Guéret, grâce à Simon A-Poi, président d’une association de Réunionnais de la Creuse.)
Le résumé de l’histoire vraie des « Enfants de la Creuse » : de 1963 à 1982, soucieux de repeupler les campagnes métropolitaines d’un côté et de lutter contre la surnatalité de la Réunion de l’autre, le gouvernement représenté par la DDAS, avec l’aval du Premier Ministre de l’époque, le député (parachuté) de La Réunion : Michel Debré, envoyait par lots (des contingents) ces enfants de l’océan Indien à la DDASS de Guéret. Volonté de bien faire ? Innocence ? Inconscience ? Volonté de se procurer de la main d’œuvre gratuite ?
Le film débute par des images de la Réunion lontan, des enfants heureux jouant, insouciants, puis on rentre dans l’histoire de ces enfants volés à leurs parents. Un témoignage puis un autre, avec de longs silences parfois ou des sanglots dans la voix. C’est terrible. En particulier quand l’un des témoins raconte, clairement, brièvement, avec des mots simples, le viol qu’il a subi, gamin. (Long silence d’une victime que personne ne voulait entendre.)
Mais comment cet exil a-t-il été possible ? Certains parents n’ont rien signé, ils n’ont pas même laissé l’empreinte de leur pouce ; rien.
Enfants enlevés, kidnappés. L’Histoire se reproduisait, ils devenaient esclaves « modernes ».
Arrivés en métropole, ces petits (il y avait des bébés) ou ces jeunes ne voyaient rien de Paris, pas même la Tour Eiffel, on les parquait dans des centres de tri où ils dormaient parfois sur des matelas à même le sol quand le contingent était trop important. Les bébés étaient rapidement distribués. Le centre de tri était un supermarché de l’enfance.
Selon leur âge, les jeunes étaient destinés à l’adoption par des ménages en mal d’enfant, à d’autres qui voulaient faire une bonne action et qui étaient tous persuadés, documents officiels à l’appui que les enfants étaient orphelins ou abandonnés alors que leurs pères et mères étaient bel et bien vivants. D’autres, pré-adolescents, étaient destinés au placement plus ou moins familial, des pupilles de la DDASS. Les plus de douze ans constituaient pour la plupart de la main d’œuvre agricole gratuite.
Un des témoins répète à plusieurs reprises «les petits noirs travaillent bien et mangent peu». Ceux qui (par malchance) se retrouvaient dans les zones rurales, chez des paysans , devenaient « bonne à tout faire » ou « travailleur aux champs », sans salaire. Rares sont ceux qui ont été scolarisés alors que la loi l’exigeait. Certains de ces enfants ont été séquestrés pendant de longues années. Il y a eu des fugues, des déprimes et même des suicides. Silence sur tous ces dérapages.
Les assistants sociaux (dont une demoiselle Payet, citée dans le documentaire) qui enlevaient ces enfants ne pouvaient ignorer ce qu’ils faisaient. Ils téléphonaient systématiquement avant de faire leurs visites aux gardiens, ils voyaient donc les jeunes dans de bonnes conditions et leurs rapports administratifs étaient toujours positifs. Jamais ils n’ont tenu compte des rapports des services sociaux de la Creuse qui enregistraient, eux, des problèmes d’adaptation. Il n’y a eu par ailleurs aucune désapprobation officielle de Paris avant 1975.
Devenus adultes, le problème identitaire grandissait chez les adoptés, noir ou métisse dans une famille de blancs, la question revenait souvent : « Je viens d’où ? » Les plus grands se demandaient « Pourquoi ? Pourquoi suis-je prisonnier ? »
Jean-Jacques Martial, un de ces enfants, a porté plainte le 30 Janvier 2002, pour « enlèvement et séquestration de mineur, rafle et déportation ». Il demandait réparation. D’autres l’ont suivi. Malgré les mots « abandon » ou « orphelin », certains ont, pendant des années, mené des enquêtes personnelles et ont découvert les mensonges des services sociaux . Ils se sont battus pour se faire entendre. En vain ou presque.
Seule l’île de La Réunion a connu ce drame car le programme a été mis en place par notre député de l’époque : Michel Debré. Chanceux Antillais ! Ils sont plus proches de la métropole et moins soumis que les Réunionnais.
En 2002, l’enquête commissionnée par le ministre de la Justice a nié toute responsabilité de l’État dans les drames constatés. Ni responsable, ni coupable.(On connait la rengaine.) Ce n’est qu’en 2004 que cette version a été décrédibilisée en soulignant que, sauf rare exception, « l’ascenseur social promis n’avait pas fonctionné », la majorité des enfants sont devenus agriculteurs, ouvriers ou chômeurs et que les préjudices ne sont pas négligeables. Toutefois, les demandes d’indemnisation (énormes, chacun des dix demandeurs réclamant 15 millions d’euros) ont été rejetées en 2005 ; le Conseil d’État a confirmé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 27 mars 2007. Une fois de plus, l’autorité les a fait taire. Silence. La vie continue. On ne veut rien entendre.
Je tiens quand même à souligner que sous une autre forme l’exil des Réunionnais se poursuit aujourd’hui. Ceux qui partent maintenant sont majeurs, ils signent des documents sans savoir vraiment ce qui les attend dans l‘hexagone. Si certains réussissent, bon nombre sont « en galère ». Après la création du Bumidom en 1963 pour désarmorcer les conflits sociaux particulièrement en Guadeloupe et de l’ANT en 1982, Ladom a repris en 2010 le flambeau de la mobilité outre-mer. Dans ces « machins », on case des fonctionnaires, les copains des copains mais pense-t-on vraiment aux conditions de vie des déplacés. Oserai-je parler de « négriers des temps modernes » ? Vous avez compris que j’en ai un peu envie, il faut regarder la vérité en face.
Je dis cette fois-ci : Honte à l’État français et aux murs de silence qu’il dresse. France, pays des droits de l‘Homme, France, qu‘as-tu fait de la vie de certains de tes enfants, ceux qui sont nés loin de la métropole et sont physiquement un peu différents ?
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