Plat

Non pas de recette et toujours pas de chanson aujourd’hui. Je pense pourtant au plat pays de Jacques Brel et à quelques-uns de ses concitoyens mais une expression me tourne dans la tête : « en faire un plat ». C’est sans doute d’avoir entendu la télévision rabâcher des événements dits et redits, fournir de l’information en boucle.

Ah quelle invention cette boucle ! Quand, dans le monde, il se passe quelque chose de différent de ce qui s’est produit la veille ou l’heure précédente, le fait nouveau et jusqu’alors absent de la boucle, ce fait pas encore pris en compte dans le point précédent d’informations, ce fait même pas encore avéré, la boucle l’intègre. C’est d’abord une petite phrase, un commentaire rapide et voilà qu’il se transforme en information. Dans la boucle suivante, nous aurons plus de détails : le reportage n’est pas encore réalisé mais, au téléphone, quelqu’un peut déjà en parler et souvent il s’agit de parler pour ne rien dire. En clair, « on » fait monter une information sans importance, pour attirer le chaland, meubler l’écran, peut-être aussi pour « noyer le poisson ». D’un petit fait, « on » en fait tout un plat.

« En faire un plat » c’est faire une histoire importante de bien peu de chose, c’est aussi en faire beaucoup pour épater, dans le sens de vanter, exagérer, faire un scandale de quelque chose qui ne le mérite pas, dramatiser, prendre au tragique, en faire tout une affaire.  Il existe des variantes : en faire un fromage, en faire tout un plat, en faire un pataquès, en faire tout un pataquès, ce qui signifie avoir des réactions exagérées face à un événement. 

« Faire un plat » est différent de « faire du plat » qui correspond à draguer. Cette dernière expression date du XIXe siècle où faire du plat, c’était à la fois « flatter bassement », mais aussi « faire la cour à une femme de manière insistante et généralement déplaisante ».

Au XVe siècle, « donner du plat » c’était « adresser de belles paroles, des bavardages ». À cette époque, « plat avait aussi le sens de « langue » et certains lexicographes pensent que c’est de cette signification oubliée que vient l’expression. Ce sens n’est pas arrivé au XIXe, l’expression pourrait aussi venir d’une transformation du terme argotique « platine » qui désigna d’abord la langue, puis signifia « faconde, aisance verbale » (Ils enviaient, pour leur député qui ne soufflait jamais un mot, la «sacrée platine» qu’avait M. le doyen (Octave Mirbeau, Journal d’une femme de chambre,1900). Ainsi, « avoir une bonne platine », ce n’était pas avoir un bon tourne-disques, c’était plutôt « parler beaucoup, avec assurance ». Indispensable quelquefois et ce n’est pas Simone de Beauvoir qui me  contrariera, elle qui a écrit dans Les Mandarins : «Si votre journal plaît à tout le monde, c’est qu’il ne gêne personne. Il n’attaque rien, il ne défend rien, il élude tous les vrais problèmes (…). Où voulez-vous en venir? (…) Mettez donc carrément les pieds dans le plat (…) et situez-vous par rapport au P.C..»

Mettre les pieds dans le plat a longtemps été une de mes spécialités. Heureusement que d’autres partagent le même défaut, je me sens moins seule et moins ridicule ; de plus, je vieillis, ça ralentit le débit des mots. « Mettre les pieds dans le plat« , expression familière, d’usage courant, signifie aborder une question délicate sans aucun ménagement, avec une franchise brutale. Il s’agit donc d’une version imagée proche de « faire une gaffe, une bourde, un impair. » C’est en clair commettre une bévue grossière, un grave impair. Mais pourquoi dit-on « Mettre les pieds dans le plat » ?

Personne, lors d’un repas de famille ou entre amis n’aurait l’idée de monter sur la table et de mettre ses pieds dans un plat soigneusement mitonné. La source de cette expression (qui date du début du XIXe siècle) est en Provence. Le « plat » était une vaste étendue d’eaux basses.  « Mettre les pieds dans le plat » est à rapprocher de « faire une gaffe » ou « gaffer », ce verbe signifiait en provençal « patauger dans la boue », autrement dit « dans les eaux basses ». Le fond d’un plat, au sens défini précédemment, est souvent boueux et vient troubler la clarté de l’eau lorsqu’on y met les pieds. Celui qui met les pieds dans le plat et qui commet donc une belle gaffe serait celui qui remue les pieds, patauge dans une eau peu profonde au point d’y mélanger boue et vase, troublant toute l’eau. C’est devenue une personne qui agite maladroitement une question à ne surtout pas aborder et qui continue à en parler longuement, semant ainsi le malaise chez son auditoire.

Cette interprétation a l’avantage d’expliquer le sens familier du mot « gaffe » dont l’origine peu claire est bien loin de la perche du batelier.

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