Dans mon article précédent, je citais cette expression « Passe-moi la Rhubarbe, je te passerai le Séné. » Je pensais aux petits arrangements entre amis : Harlem Désir au gouvernement remplacé par Jean-Christophe Cambadélis à la tête du parti socialiste. C’est une version plus académique, plus « littéraire » de «se renvoyer l’ascenseur».
Savez-vous que ces deux drogues végétales (rhubarbe et séné), aux principes actifs voisins, étaient les deux purgatifs les plus connus et utilisés ? Ils pouvaient se remplacer mutuellement dans la thérapeutique du Grand Siècle (le XVII° en France).
Pour que la pilule passe mieux, une petite chanson de notre ami Georges Brassens. Titre moins connu mais qui mérite un peu d’attention : « lèche-cocu », titre qui peut nous faire penser, trivialement certes, aux « lèche-culs » (ou lèche-bottes) qui pullulent ; oui, il y a une « foultitude » de personnes qui flattent servilement pour remplir leur porte-monnaie et grappiller des avantages.
Voilà les paroles suivies de la vidéo de la chanson et de petites explications de texte (en gras et après la vidéo).
Comme il chouchoutait les maris,
Qu’il les couvrait de flatteries,
Quand il en pinçait pour leurs femmes,
Qu’il avait des cornes au cul,
On l’appelait lèche-cocu.
Oyez tous son histoire infâme.
Si l’mari faisait du bateau,
Il lui parlait de tirant d’eau,
De voiles, de mâts de misaine,
De yacht, de brick et de steamer,
Lui, qui souffrait du mal de mer
En passant les ponts de la Seine.
Si l’homme était un peu bigot,
Lui qui sentait fort le fagot,
Criblait le ciel de patenôtres,
Communiait à grand fracas,
Retirant même en certains cas
L’pain bénit d’la bouche d’un autre.
Si l’homme était sergent de ville,
En sautoir – mon Dieu, que c’est vil –
Il portait un flic en peluche,
Lui qui, sans ménager sa voix,
Criait : » Mort aux vaches » autrefois,
Même atteint de la coqueluche.
Si l’homme était un militant,
Il prenait sa carte à l’instant
Pour bien se mettre dans sa manche,
Biffant ses propres graffiti
Du vendredi, le samedi
Ceux du samedi, le dimanche.
Et si l’homme était dans l’armée,
Il entonnait pour le charmer :
» Sambre-et-Meuse » et tout le folklore,
Lui, le pacifiste bêlant
Qui fabriquait des cerfs-volants
Avec le drapeau tricolore.
Et bien, ce malheureux tocard
Faisait tout ça vainement, car
Etant comme cul et chemise
Avec les maris, il ne put
Jamais parvenir à son but :
Toucher à la fesse promise.
Ravis, ces messieurs talonnaient
Ce bougre qui les flagornait
A la ville, comme à la campagne,
Ne lui laissant pas l’occasion
De se trouver, quell’ dérision,
Seul à seul avec leurs compagnes.
Et nous, copains, cousins, voisins,
Profitant (on n’est pas des saints)
De ce que ces deux imbéciles
Se passaient rhubarbe et séné,
On s’ partageait leur dulcinée
Qui se laissait faire docile.
Et, tandis que lèche-cocu
Se prosternait cornes au cul
Devant ses éventuelles victimes,
Par surcroît, l’on couchait aussi –
La morale était sauve ainsi –
Avec sa femme légitime.
Sentir le fagot : c‘était, à une époque, être soupçonné de sorcellerie. Jeanne d’Arc, comme chacun sait, a fini sur un tas de fagots, un bûcher. L’Église brûlait les sorcièr(e)s et sentir le fagot, c’est avoir des opinions de mécréant et, par exemple, mettre en doute l’existence de Dieu. Le contraire de sentir le fagot : « être en odeur de sainteté ».
Si l’homme était un militant,
Il prenait sa carte à l’instant
Pour bien se mettre dans sa manche, Voilà qui peut ramener à nos jours, prendre la carte d’un parti pour en retirer des avantages… D’ordinaire, ce n’est pas une carte de parti politique que le tricheur se met dans la manche, mais un as ou deux, relisez vos classiques, Lucky Luke par exemple. Une carte pour « se mettre quelqu’un dans la manche », on ment, on triche, on profite… Chapeau à Georges Brassens pour les métaphores.
Toucher à la fesse promise, en bon mécréant, Georges Brassens se moque sans doute de Moïse lui qui, malgré tous ses efforts, n’est jamais arrivé à toucher la Terre Promise.
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