Quel bleu voulez-vous ?

 Quel bleu voulez-vous ?
Bleu romantique… ou bleu plus cynique ? Bonheur, malheur ? Le bleu n’est pas toujours clair, limpide, reposant, joli, gentil, doux, agréable, confortable, douillet… (tiens Douillet ?)
Bleu naïf ? Bleu de la fleur bleue. L’adjectif « naïf » peut avoir un sens négatif.

Le naïf est celui qui accepte tout, se fait piéger à cause de sa crédulité. C’est l’ingénuité, la candeur, et passé un certain âge : la bêtise.
Le négatif devient cependant positif si l’on sait que la naïveté désigne aussi, si l’on en croit l’étymologie, ce qui est naturel, solide, réel, donné à la naissance, du neuf en quelque sorte, du vierge, du pas abîmé à respecter.  Nous sommes donc très loin du bleu des bleus du cœur et du blues (ils chantaient bien les nègres enchaînés . On pourrait presque dire que l’esclavage a eu du bon. Oh oh, attention, c’est de l’humour noir).

Tous les coups reçus, au propre et au figuré, dans une relation pourrie  avec… qui vous voulez : parents, alliés, collatéraux, patrons…ça laisse des marques, des bleus. Ah, mais la pourriture sur les oranges ou les citrons est bleue. C’est un champignon de la famille du pénicillium qui donne cette jolie moisissure en camaïeu de bleus ; ce même champignon a permis la découverte de la pénicilline, antibiotique qui a sauvé bien des vies, ce qui tend à confirmer le proverbe «à quelque chose malheur est bon».

Le malheur écrase souvent les destinées humaines : déception, maladie, chômage, trahison, mort, etc. Victor Hugo le prouve ; est le chantre de la misère, celle qui engloutit la destinée des miséreux, des plus humbles, de ceux que tout le monde ignore. Les Misérables, c’est la saga des plus pauvres. Cosette, l’orpheline, fille de Fantine, confiée aux abominables Thénardier est oubliée du monde, elle devient l’héroïne des Misérables (mon chouchou reste Gavroche). Hugo la voit et la décrit :
« Cosette était laide. Heureuse, elle eût peut-être été jolie. (…) Ses grands yeux enfoncés dans une sorte d’ombre profonde étaient presque éteints à force d’avoir pleuré. Les coins de sa bouche avaient cette courbe de l’angoisse habituelle, qu’on observe chez les condamnés et chez les malades désespérés. Ses mains étaient, comme sa mère l’avait deviné, « perdues d’engelures. » (…) Elle n’avait sur elle que de la toile trouée ; pas un chiffon de laine. On voyait sa peau çà et là, et l’on y distinguait partout des taches bleues ou noires qui indiquaient les endroits où la Thénardier l’avait touchée. (…) Toute la personne de cette enfant, son allure, son attitude, le son de sa voix, ses intervalles entre un mot et l’autre, son regard, son silence, son moindre geste, exprimaient et traduisaient une seule idée : la crainte. »

Victor Hugo, dans Les Misérables montre que l’Homme, capable des pires avanies, est aussi capable de sublime, de sacrifice, de don de soi. Hugo n’analyse pas, il évoque l’histoire d’une âme guidée par l’amour ; il voit avec ses yeux d’homme (naturellement bon d’après Rousseau, mouais…) un autre homme plein de  bonté. « N’y a-t-il pas dans toute âme humaine, n’y avait-il pas dans l’âme de Jean Valjean en particulier, une première étincelle, un élément divin, incorruptible dans ce monde, immortel dans l’autre, que le bien peut développer, attiser, allumer, enflammer et faire rayonner splendidement, et que le mal ne peut jamais entièrement éteindre ?  (…) Certes, et nous ne voulons pas le dissimuler, le physiologiste observateur eût vu là une misère irrémédiable, il eût plaint peut-être ce malade du fait de la loi, mais il n’eût pas même essayé de traitement ; il eût détourné le regard des cavernes qu’il aurait entrevues dans cette âme (…) ».

Le forçat évadé Jean Valjean recueille Cosette, et  ils s’installent à Paris, dans la masure Gorbeau, un taudis meublé simplement par l’amour d’un vieux que la vie n’a pas épargné envers une enfant brisée dès son plus jeune âge. Pour la première fois, Jean Valjean découvre qu’il peut aimer un être humain en la personne de cette petite fille. « Les premiers jours s’écoulèrent dans cet éblouissement. De son côté, Cosette, elle aussi, devenait autre, à son insu, pauvre petit être  ! Elle était si petite quand sa mère l’avait quittée qu’elle ne s’en souvenait plus. Comme tous les enfants, pareils aux jeunes pousses de la vigne qui s’accrochent à tout, elle avait essayé d’aimer. Elle n’y avait pu réussir. Tous l’avaient repoussée, les Thénardier, leurs enfants, d’autres enfants. Elle avait aimé le chien, qui était mort. Après quoi, rien n’avait voulu d’elle, ni personne. Chose lugubre à dire, et que nous avons déjà indiquée, à huit ans elle avait le coeur froid. Ce n’était pas sa faute, ce n’était point la faculté d’aimer qui lui manquait ; hélas ! c’était la possibilité. Aussi, dès le premier jour, tout ce qui sentait et songeait en elle se mit à aimer ce bonhomme. Elle éprouvait ce qu’elle n’avait jamais ressenti, une sensation d’épanouissement. Le bonhomme ne lui faisait même plus l’effet d’être vieux, ni d’être pauvre. Elle trouvait Jean Valjean beau, de même qu’elle trouvait le taudis joli. Ce sont là des effets d’aurore, d’enfance, de jeunesse, de joie. La nouveauté de la terre et de la vie y est pour quelque chose. Rien n’est charmant comme le reflet colorant du bonheur sur le grenier. Nous avons tous ainsi dans notre passé un galetas bleu. La nature, cinquante ans d’intervalle, avaient mis une séparation profonde entre Jean Valjean et Cosette ; cette séparation, la destinée la combla. La destinée unit brusquement et fiança avec son irrésistible puissance ces deux existences déracinées, différentes par l’âge, semblables par le deuil. L’une en effet complétait l’autre. L’instinct de Cosette cherchait un père comme l’instinct de Jean Valjean cherchait un enfant. Se rencontrer, ce fut se trouver. Au moment mystérieux où leurs deux mains se touchèrent, elles se soudèrent. Quand ces deux âmes s’aperçurent, elles se reconnurent comme étant le besoin l’une de l’autre et s’embrassèrent étroitement.»

Le taudis, avec l’amour réciproque de Cosette et Jean Valjean, prend des airs de palais et la couleur du ciel, la couleur du ciel d’un jour qui se lève : bleu (et rose). C’est l’espoir, la vie qui (re)commence.

Cette capacité à surmonter le malheur grâce au goût de la vie, c’est la capacité ou le concept de «résilience». L’âme humaine, l’esprit humain a des ressources inattendues, inépuisables. Personne ne peut être voué au malheur à jamais, sauf en perdant la vie (fin du malheur. Et après ?).

L’extrême violence du réel (pensons aux multiples génocides du XX° siècle) a laissé des individus survivre. Ces victimes du sort n’oublieront jamais la réalité mais la vie a eu le dernier mot ; le malheur a été muselé (momentanément ?).

L’espoir vital du rêve… Pauvres Japonais (clic)  un tremblement de terre, un tsunami, Hiroshima, Nagasaki… Rêvent-ils encore ? Et les survivants des camps de la mort, ont-ils pu faire cesser leurs cauchemars ?

Chantons pour oublier. Cliquez LA.

Je lui dirai tous les mots bleus
Tous ceux qui rendent les gens heureux
Tous les mots bleus

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4 réflexions sur « Quel bleu voulez-vous ? »

  1. Chère Françoise,
    Tu rejoins ce que dont je te parlais dans un de mes derniers commentaires, à savoir, les bleus au corps et à l’âme, ceux qui font le plus mal et qu’on a bien du mal
    à effacer.
    Je t’embrasse bien amicalement.

  2. Comme le dit Clara le bleu au corps et à l’âme sont les bleus les plus durs ,
    Des bleus qui ne devraient pas exister
    BISOUS
    timilo

  3. Merci de nous redonner à lire ces textes qui nous rappellent l’école et que nous oublions et c’est bien dommage !
    J’aime toutes ces nuances de bleu que tu nous offres à regarder

  4. le monde c’ est ça, Dieu et le Diable, chaud et froid, bon et mauvais !
    Mais je pense que la majorité se situe entre les deux !
    Merci d’ avoir rappelé qu’ on peut être heureux pour peu qu’ on ne soit pas trop orgueilleux

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