En juin 2011, des Toulousains avaient entrepris de chanter, devant le commissariat de cette ville volontiers frondeuse (c’est sans doute pour cela peut-être que j’aime Toulouse, comme Grenoble, ma ville de naissance qui, elle aussi, a été longtemps rebelle), la chanson de Brassens, Hécatombe (cliquez sur le mot bleu pour relire mon article de juin 2011) ; ils en furent empêchés.
Cette chanson, dans laquelle des « mégères gendarmicides » se ruent sur les représentants de l’ordre et font crier à un maréchal des logis : « Mort aux vaches, mort aux lois, vive l’anarchie », est interdite. Et on parle de liberté d’expression ? Si on ne peut même plus rire…
L’histoire (dans la chanson) est censée se dérouler à Brive-la-Gaillarde, une ville qui doit son surnom au courage qu’elle déploya lors des nombreux sièges qu’elle eut à subir. Les « coujous » (courges en occitan, pour Brivistes ou Brivois) sont-ils aussi des rebelles ? Peut-être était-ce dans l’état d’esprit des Français d’être rebelles, avant… quand on osait encore dire : « …Je ne suis pas d’accord, c’est un scandale ! Je dis non ! … C’est une question de principe, Monsieur ! … » Et comme le dit une publicité en ce moment, « ça, c’était avant« . Avant quoi, on se le demande. Je ne suis pas assez finaude sans doute.
Mais je m’éloigne, comme toujours de ma question initiale (que je ne vous ai pas encore posée) : Pourquoi dit-on « mort aux vaches » pour insulter la police ?
Cette expression est née à la fin du 19e siècle.
Elle daterait plus précisément de 1870 ou 1871, alors que les Allemands, ayant annexé l’Alsace et la Lorraine, avaient écrit sur leurs guérites “WACHE” ce qui veut dire “garde”, “sentinelle”.
Les relations franco-allemandes étant tendues, il n’est pas difficile d’imaginer qu’il fut facile aux Français d’exprimer leur ressentiments envers les allemands en criant : “mort aux wache” puis “mort aux vaches”. Au fil du temps cette insulte s’adressera plus particulièrement à la police et aux gendarmes, enfin à toutes les personnes portant un uniforme.
Cette expression se symbolisera aussi dans les prisons par trois points tatoués en triangle entre le pouce et l’index sur la main des détenus.
De plus, “Mort aux vaches”, contient une telle connotation de révolte qu’elle deviendra le slogan des anarchistes à partir des années 1890.
Le texte de Anatole France “Crainquebille” (1902), que je cite juste après, souligne bien le caractère insultant de cette expression. Crainquebille, modeste marchand de quatre-saisons, est poursuivi en justice pour avoir injurié un agent de police. Son avocat le défend lors du procès par cette tirade :
« – Non, certes, je ne méconnais pas les services modestes et précieux que rendent journellement les gardiens de la paix à la vaillante population de Paris. Et je n’aurais pas consenti à vous présenter, Messieurs, la défense de Crainquebille, si j’avais vu en lui l’insulteur d’un ancien soldat. On accuse mon client d’avoir dit : “Mort aux vaches!“. Le sens de cette phrase n’est pas douteux. Si vous feuilletez le dictionnaire de la langue verte, vous y lirez : “Vachard, paresseux, fainéant ; qui s’étend paresseusement comme une vache, au lieu de travailler”. – Vache, qui se vend à la police ; mouchard. “Mort aux vaches!” se dit dans un certain monde. Mais toute la question est celle-ci : Comment Crainquebille l’a-t-il dit ? Et même, l’a-t-il dit ? Permettez-moi, Messieurs, d’en douter. Je ne soupçonne l’agent Matra d’aucune mauvaise pensée. Mais il accomplit, comme nous l’avons dit, une tâche pénible. Il est parfois fatigué, excédé, surmené. Dans ces conditions il peut avoir été la victime d’une sorte d’hallucination de l’ouïe. Et quand il vient vous dire, Messieurs, que le docteur David Matthieu, officier de la Légion d’honneur, médecin en chef de l’hôpital Ambroise-Paré, un prince de la science et un homme du monde, a crié : ” Mort aux vaches!”, nous sommes bien forcés de reconnaître que Matra est en proie à la maladie de l’obsession, et, si le mot n’est pas trop fort, au délire de la persécution. Et alors même que Crainquebille aurait crié: “Mort aux vaches!“, il resterait à savoir si ce mot a, dans sa bouche, le caractère d’un délit. Crainquebille est l’enfant naturel d’une marchande ambulante, perdue d’inconduite et de boisson, il est né alcoolique. Vous le voyez ici abruti par soixante ans de misère. Messieurs, vous direz qu’il est irresponsable. »
Je conçois mieux après cette lecture, pourquoi, contrairement à ce qui est écrit dans la loi*, l’alcoolisme est considéré comme une circonstance atténuante, de même que tous les problèmes d’enfance malheureuse. Je ne le comprends pas : irresponsabilité soit, mais pas circonstance atténuante ! L’imprégnation alcoolique n’est pas une circonstance atténuante, elle est aggravante au contraire, on le voit bien en ce qui concerne la sécurité routière (on parle de maladie alcoolique ; bien. Qu’on les soigne ces malades !) Les parents de victimes de chauffards imprégnés doivent être de cet avis, je crois.
Mais qui les défend ? Qui défend les victimes ? Et comment, une fois morte ou handicapée à vie ?
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* L’article L.3341-1 du code de la santé publique dispose :
« Une personne trouvée en état d’ivresse dans les rues, chemins, places, cafés, cabarets ou autres lieux publics, est, par mesure de police, conduite à ses frais au poste le plus voisin ou dans une chambre de sûreté, pour y être retenue jusqu’à ce qu’elle ait recouvré la raison.»
— Article L. 3341-1 du Code la santé publique
L’article R. 3353-1 du même code dispose :
« Le fait de se trouver en état d’ivresse manifeste dans les lieux mentionnés à l’article L. 3341-1 est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 2e classe.»
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Ajout en fin de journée : Quand je suis rentrée au CP, les hirondelles patrouillaient encore à vélo dans les rues, leur jolie petite pélerine marine volant au vent. Hirondelles qui ne faisaient certes pas le printemps.
Une autre rectification, indispensable pour moi la Grenobloise qui aime bien les Stéphanois, Hirondelle était une marque française de bicyclettes construites à Saint-Étienne par la société Manufrance. Elles furent vendues des années 1900 aux années 1960 aux équipes cyclistes de la police en particulier à Paris et pour votre information, j’ai trouvé ce site :amicale-police-patrimoine.fr/Hirondelles.html.
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