Un retour plus littéraire sur le bleu. Bleu couleur romantique. Myosotis timide, fleur bleue… Le bleu peut être dramatique aussi. De même que la mer et le ciel passent de la sérénité à la tempête, la vie connait des hauts et das bas. Douleur et joie se succèdent…
Dans le roman de Gustave Flaubert, « Madame Bovary », qui causa un si grand scandale au moment de sa sortie, il y a un fil rouge : la couleur bleue. (clic pour rappel : fil rouge)
Tout commence par une lettre cachetée de bleu : «Cette lettre, cachetée d’un petit cachet de cire bleue, suppliait Monsieur Bovary de se rendre immédiatement à la ferme des Bertaux, pour remettre une jambe cassée.» Vous voyez, ce n’est pas très romantique pour un début, ce n’est même pas une lettre d’amour.
Quand Charles Bovary arrive à la ferme, c’est Emma qui le reçoit, vêtue d’une «robe de mérinos bleu garnie de trois volants», lui, le médecin portait une « cravate de soie bleue ». Emma Rouault épouse donc le médecin de son village natal, le docteur Charles Bovary ; celui-ci est devenu veuf récemment, le mariage est plutôt arrangé par les parents des futurs époux que décidé par amour.
Une fois mariée à Charles, Emma s’ennuie. Sa vie est morne, triste ; la naissance de leur petite fille ne l’amuse guère. Son époux n’a rien d’un joyeux luron. Elle rêve. Petit à petit, elle se lasse jusqu’au dégoût du lourdaud qui est son mari. Etre la femme d’un médecin de campagne n’est pas aussi gai ni aussi confortable qu’elle l’avait imaginé. Elle est exaspérée par tout ce qui a trait à Charles, qui reçoit un jour en cadeau «une belle tête phrénologique toute martelée de chiffres jusqu’au thorax et peinte en bleu». Encore du bleu. Du bleu aussi dans le décor d’Emma avec « deux grands vases bleus » et dans ses vêtements ; après la robe de mérinos du début de l’histoire, lorsqu’elle est avec Rodolphe, son premier amant elle porte « une robe de cachemire bleu » dans la forêt, « un chapeau à petites fleurs bleues » à Rouen.
Le bleu retrouve sa vocation amoureuse, lorsqu’Emma prend un amant. «Elle allait donc posséder enfin ces joies de l’amour, cette fièvre du bonheur dont elle avait désespéré. Elle entrait dans quelque chose de merveilleux où tout serait passion, extase, délire ; une immensité bleuâtre l’entourait, les sommets du sentiment étincelaient sous sa pensée, et l’existence ordinaire n’apparaissait qu’au loin, tout en bas dans l’ombre, entre les intervalles de ces hauteurs» . Mais la couleur n’est que bleuâtre, ce qui laisse présager du pire. Bleuâtre n’est pas tout à fait bleu. Sans être un suffixe péjoratif, âtre est cependant bien dépréciatif.
Emma a beaucoup (trop) lu durant sa jeunesse des ouvrages romanesques. Sa vie conjugale, loin de se conformer à ses rêves, ne lui apporte que frustrations et désillusions. Elle ne rencontre que des hommes médiocres : Charles Bovary est effacé, et ses amants, des bellâtres, au fond, tout aussi médiocres, d’où son insatisfaction. Au moins Charles l’aime-t-il vraiment…
Mais Emma est torturée, entre le rêve et la réalité, le ciel et la terre, la couleur de ses yeux trahit ce déchirement intérieur « ses yeux lui paraissaient agrandis, surtout quand elle ouvrait plusieurs fois de suite ses paupières en s’éveillant ; noirs à l’ombre et bleu foncé au grand jour, ils avaient comme des couches de couleurs successives, et qui plus épaisses dans le fond, allaient en s’éclaircissant vers la surface de l’émail. » Noir du désespoir, bleu profond insondable du mysticisme. Sont-ce les yeux d’un ange naïf qui ira jusqu’au suicide pour avoir voulu vivre une passion ? Pour le plaisir de la passion, une passion infernale…
Le bleu accompagne Emma dans son suicide final. Le flacon d’arsenic est un «bocal bleu». Le romantisme dont elle s’est abreuvée avec ses lectures, la pousse à jouer son suicide devant Justin, l’élève du pharmacien ; voilà comment Gustave Flaubert narre l’événement : « La clé tourna dans la serrure et elle alla vers la troisième tablette, tant son souvenir la guidait bien, saisit le bocal bleu, en arracha le bouton, y fourra sa main, et la retirant pleine d’un poudre blanche, se mit à manger … ». Attendait-elle qu’on la comprenne et qu’on l’arrête ? Le suicide n’est souvent qu’un appel au secours.
Emma éprouve un grand dégoût pour le monde étriqué qui l’entoure et un désir forcené d’une autre existence plus exaltante, une vie passionnée, un amour intense, vrai. La couleur romantique de la passion amoureuse s’inscrit enfin sur le visage mortuaire d’Emma. Malheureusement, elle ne meurt pas d’amour… Lamentable ! Elle se suicide pour fuir ses dettes.
Empoisonnée, sur son lit de mort, son teint ne parvient pas à être d’un bleu sublime façon Schtroumpfs ou mieux encore, Na’vi d’Avatar : «des gouttes suintaient sur sa langue bleuâtre, qui semblait comme figée dans l’exaltation d’une vapeur métallique». Flaubert fait un sort au « bleu » couleur de la passion pour en faire la couleur du délire, de l’illusion amoureuse… et de la mort.
Naïve Emma ! Incapable de s’accommoder d’une existence qui brime son idéal, elle ne trouve d’autre solution que de se suicider. Que penser des nos jeunes qui se suicident (peut-être de plus en plus) de plus en plus jeunes ? Monde effrayant ? Bovarisme ? Le bovarysme est selon la définition du Larousse : « Comportement d’une femme que l’insatisfaction entraîne à des rêveries ambitieuses ayant un rôle compensatoire » ou pour wikipédia « un état d’insatisfaction, sur les plans affectifs et sociaux, qui se rencontre en particulier chez certaines jeunes personnes névrosées, et qui se traduit par des ambitions vaines et démesurées, une fuite dans l’imaginaire et le romanesque.«
Ambitions démesurées ? Quels rêves pour nos jeunes ?
Qui est responsable de leur désespoir ? Qui est coupable du mal-être ambiant ? Pourquoi cet état ? C’est la faute… aux parents, à la télé, à internet, aux jeux vidéos… aux politiques… à Sarkozy ? Jadis, ce fut la faute des romans, puis des romans-photos…
Le roman « Madame Bovary » fut jugé immoral, licencieux et son auteur Gustave Flaubert, attaqué en justice, aux côtés de l’imprimeur, pour « outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs ». Personne n’avait imaginé encore ce qu’écrirait Virginie Despentes ou Frédéric Beigbeider ou… au choix, qui vous voulez.
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