Questions de pigeons

Questions de pigeons… J’avais bien envie de discuter des questions que nous autres, pauvres pigeons, ne cessons de nous poser mais ça ne me disait rien de commencer comme ça ma journée, c’était trop démoralisant, alors j’ai trouvé plus léger : une fable de Jean de la Fontaine. Juste après la Saint Valentin, ça me paraît normal de rester dans les histoires d’amour. Non ? Pas vous ? Alors…

Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre… Ça vous rappelle quelque chose ? Voilà donc la fable en entier ; mes remarques suivent, juste à la fin de la fable.

Les deux Pigeons (Les Fables IX)

Deux Pigeons s’aimaient d’amour tendre.
L’un d’eux s’ennuyant au logis
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.
L’autre lui dit : Qu’allez-vous faire ?
Voulez-vous quitter votre frère ?
L’absence est le plus grand des maux :
Non pas pour vous, cruel. Au moins, que les travaux,
Les dangers, les soins du voyage,
Changent un peu votre courage.
Encor si la saison s’avançait davantage !
Attendez les zéphyrs. Qui vous presse ? Un corbeau
Tout à l’heure annonçait malheur à quelque oiseau.
Je ne songerai plus que rencontre funeste,
Que Faucons, que réseaux. Hélas, dirai-je, il pleut :
Mon frère a-t-il tout ce qu’il veut,
Bon soupé, bon gîte, et le reste ?
Ce discours ébranla le coeur
De notre imprudent voyageur ;
Mais le désir de voir et l’humeur inquiète
L’emportèrent enfin. Il dit : Ne pleurez point :
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite ;
Je reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère.
Je le désennuierai : quiconque ne voit guère
N’a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d’un plaisir extrême.
Je dirai : J’étais là ; telle chose m’avint ;
Vous y croirez être vous-même.
À ces mots en pleurant ils se dirent adieu.
Le voyageur s’éloigne ; et voilà qu’un nuage
L’oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s’offrit, tel encor que l’orage
Maltraita le Pigeon en dépit du feuillage.
L’air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu’il peut son corps chargé de pluie,
Dans un champ à l’écart voit du blé répandu,
Voit un pigeon auprès ; cela lui donne envie :
Il y vole, il est pris : ce blé couvrait d’un las,
Les menteurs et traîtres appas.
Le las était usé ! si bien que de son aile,
De ses pieds, de son bec, l’oiseau le rompt enfin.
Quelque plume y périt ; et le pis du destin
Fut qu’un certain Vautour à la serre cruelle
Vit notre malheureux, qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du las qui l’avait attrapé,
Semblait un forçat échappé.
Le vautour s’en allait le lier, quand des nues
Fond à son tour un Aigle aux ailes étendues.
Le Pigeon profita du conflit des voleurs,
S’envola, s’abattit auprès d’une masure,
Crut, pour ce coup, que ses malheurs
Finiraient par cette aventure ;
Mais un fripon d’enfant, cet âge est sans pitié,
Prit sa fronde et, du coup, tua plus d’à moitié
La volatile malheureuse,
Qui, maudissant sa curiosité,
Traînant l’aile et tirant le pié,
Demi-morte et demi-boiteuse,
Droit au logis s’en retourna.
Que bien, que mal, elle arriva
Sans autre aventure fâcheuse.
Voilà nos gens rejoints ; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.
Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ?
Que ce soit aux rives prochaines ;
Soyez-vous l’un à l’autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau ;
Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste ;
J’ai quelquefois aimé ! je n’aurais pas alors
Contre le Louvre et ses trésors,
Contre le firmament et sa voûte céleste,
Changé les bois, changé les lieux
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
De l’aimable et jeune Bergère
Pour qui, sous le fils de Cythère,
Je servis, engagé par mes premiers serments.
Hélas ! quand reviendront de semblables moments ?
Faut-il que tant d’objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ?
Ah ! si mon coeur osait encor se renflammer !
Ne sentirai-je plus de charme qui m’arrête ?
Ai-je passé le temps d’aimer ?
 *****

Avez-vous remarqué que La Fontaine n’a pas utilisé de féminin dans ce couple ?

Pourquoi donc?

Est-ce que La Fontaine nous laisse choisir nous-mêmes qui est l’amoureux tendre et dévoué et qui est le jeune écervelé ?  Chacun peut ainsi donner le beau rôle à l’homme ou à la femme qui compose le couple et La Fontaine ne peut pas être taxé de misogynie.

Mais une seconde lecture est possible : il s’agirait de deux pigeons mâles, un « couple » de frères, c’est ainsi que les pigeons s’appellent au début de la fable ou même un couple d’homosexuels. Oui, ne fermons pas les yeux, l’homosexualité est sans doute aussi vieille que le monde mais,  à cette époque non permissive, elle constituait un grave délit (qui rendait bien service aux familles nobles et à la monarchie. En effet, si les frères du roi – ou de l’ainé de la famille- étaient homosexuels, les risques de conflit pour la succession entre descendants étaient réduits).

La Fontaine fut-il un tantinet homosexuel ?

Constatait-il à la fin de la fable le déclin de sa virilité ? « Ai-je passé le temps d’aimer ? »

Encore faut-il savoir de quel amour il est question ?

L’amour est éternel jusqu’à ce qu’il s’arrête chante Cali. 

L’amour est éternel promettent certaines religions mais c’est un autre amour.

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