Le 5 juillet 1974, en France, une loi a abaissé l’âge de la majorité civile qui est passée ainsi de 21 à 18 ans. Moi, j’ai eu 21 ans trois semaines après le vote de la loi et j’avoue que je pestais de n’avoir pu glisser un bulletin de vote dans les urnes qui venaient de désigner Valéry Giscard d’Estaing. J’avais une conscience politique ; j’entendais et j’écoutais mes parents discuter et surtout, mai 68 était passé par là.
Cette loi de 1974 était «indispensable». En effet, après événements de mai 68, il s’agissait de donner le droit de vote à une jeunesse qui venait de participer un peu brutalement à la vie politique, étudiants unis aux travailleurs (ou presque), il était évident que le monde changeait et que des barrières étaient tombées. Il y a des mois j’avais écrit une série de billets sur cette époque pleine de rêves et de volonté de changement, billets que vous pouvez lire en cliquant Là, Là ou encore Là.
Rétrospectivement, on peut cependant se demander si cette réforme, en 1974, ne constituait pas un contresens historique : en effet, on a abaissé l’âge de la majorité au moment même où s’amorçait la vague de démocratisation de l’enseignement secondaire et supérieur qui repousse l’entrée dans la vie active. Le temps de la dépendance économique s’allonge, les jeunes ne sont pas socialement responsables : pas de travail, ni de salaire, pas d’impôt… Les soixante-huitards avaient, certes, des illusions mais ils n’étaient pas irresponsables ; ils étaient, à mon avis, beaucoup plus matures, plus impliqués par les problèmes du monde adulte que la jeunesse contemporaine.
S’il fallait donc tenir compte de l’évolution du statut des jeunes dans la société afin de faire coïncider majorité civique et majorité sociale, il faudrait sans aucun doute reculer l’âge de la majorité et non l’avancer.
Or, il y a quelques jours, en septembre 2013, en France, la ministre de la famille Dominique Bertinotti (Ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille) a annoncé qu’elle envisageait d’inscrire dans son projet de loi pour la famille une disposition établissant une pré-majorité dès16 ans. Opération électoraliste ? Je le crains.
En France, la majorité pénale est fixée à 18 ans, mais dès l’âge de 13 ans, un jeune peut recevoir des sanctions éducatives (officiellement car la réalité est différente) et exceptionnellement des peines d’emprisonnement en centre de détention spécial (là aussi, c’est le discours officiel ; la réalité est moins «glorieuse», il n’y a pas de place, pas de locaux, pas de personnel, pas de sous ! et pourtant on en gaspille autrement). La majorité sexuelle est atteinte à l’âge de 15 ans, la scolarité est obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, âge auquel un jeune peut commencer à travailler.
Créer une pré-majorité pour les jeunes de 16 ans peut donc être perçu comme un souci de cohérence avec ce qui existe déjà, mais la ministre évoque plutôt une volonté de responsabiliser les jeunes sur leurs droits et devoirs de citoyens ; il faut dire que la ministre créa des «conseils des enfants» et des «conseils de jeunes» dans sa ville pour les impliquer politiquement. Je crois, moi, que la ministre de la famille veut laisser son nom dans l’Histoire. Personne, je crois, ne s’est manifesté en faveur du droit de vote des adolescents. Si l’objectif est de «responsabiliser les adolescents pour en faire des citoyens éclairés», il faut les éduquer.
Le droit de vote des jeunes pose le problème de l’influence du milieu familial sur le choix politique de l’enfant. Quelle est la capacité de réflexion politique et la capacité critique des jeunes quand on sait que l’instruction civique n’a pas été faite et même a fait défaut à leurs parents, sans compter que plus personne ne dialogue vraiment à la maison.
Concrètement, cette «pré-majorité» pourrait ouvrir le droit de vote aux 16-18 ans pour les élections locales, leur permettre de créer une association (sans l’autorisation préalable des parents) ou encore d’avoir un plus grand choix personnel concernant leur orientation scolaire et leur futur professionnel. Pourquoi donc vouloir à tout prix «émanciper» de force des jeunes qui ne sont pas prêts ? Il existe la possibilité, pour les parents, de faire émanciper juridiquement les adolescents de 16 ans.
Le refus de la ministre d’abaisser la «majorité judiciaire» montre l’incohérence de ce projet. Un cadre protecteur pour les adolescents est indispensable pour qu’ils puissent se construire ; c’est le rôle des parents d’éduquer leurs enfants. Les parents, forts de leur expérience, doivent les aiguiller dans leurs choix scolaires et professionnels. Pourquoi refuser tout droit et tout devoir aux parents ? Il faut cesser de déresponsabiliser à tour de bras. Les parents ont le droit et doivent faire entendre leur voix sur les activités de leur enfants. Laissons nos jeunes rêver. Donnons-leur de l’espoir. Le monde que nous leur proposons n’est pas beau.
Il est loin le temps des parents bornés qui empêchaient leurs rejetons de s’épanouir. Aujourd’hui il faudrait les aider à retrouver un peu d’autorité. Pourquoi pas une école des parents trop souvent laxistes ou ayant carrément démissionné ?
Il faut revenir au sens des responsabilités, au bon sens, tout simplement.
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