Quoi de plus agréable que de s’assoupir ou de se laisser aller aux rêves après avoir fait «bonne chère», pris un bon repas ? Petite fille, avant d’entrer au collège, j’ai cru que « faire bonne chère » s’écrivait «bonne chair» et avait un rapport avec la viande (que je n’aimais pas). En fait le mot «chère» est un dérivé du mot plus ancien et aujourd’hui oublié «chière», qui vient du latin «cara», le visage.
Alors quel est le rapport avec le fait d’avoir bien mangé ?
Au XIIe siècle l’expression « faire bonne chère à quelqu’un » signifiait faire bon visage, avoir un visage amical, aimable et devint vite synonyme de bon accueil. Il faut savoir qu’à cette époque-là les mimiques et les gestes avaient beaucoup plus d’importance qu’aujourd’hui. Le mot «chère» pour visage a pris, peu à peu, le sens d’air : un visage aimable ou un air aimable pour bien accueillir quelqu’un, bien le recevoir. (Aujourd’hui, les individus sont partagés entre deux comportements : ne rien laisser paraître de leurs sentiments pour ne pas être « fragilisés » ou au contraire se mettre à nu au propre et au figuré pour faire parler d’eux, être célèbres, au moins un quart d’heure.)
C’est au XVe siècle que l’expression « faire bonne chère » fut réellement associée au fait de bien manger. En fait, on se retrouvait en pleine guerre de Cent Ans (1337 à 1453), époque très dure où le bon repas n’est pas souvent de mise ; durant toutes les guerres, ce sont les gens du peuple qui meurent de faim même si l’armée n’est pas toujours bien nourrie, les soldats peuvent se rattraper lors des pillages. On faisait donc bonne mine devant le repas ; en pensant à Geneviève, à ma grand-mère et à tant d’autres qui ont subi les restrictions de la dernière guerre, j’imagine que devant un bon repas ou simplement un bon morceau de viande, de beurre, on devait réellement avoir une mine épanouie.
Au XVe siècle, on pouvait lire qu’une femme sachant s’y prendre peut toujours «faire bonne chière (bon visage) à qui elle veut» et pourtant, déjà, l’expression avait pris le sens de bon repas.
Les deux acceptions de l’expression « faire bonne chère » ont longtemps coexisté. On retrouve le sens de faire bon visage, encore au XVIIe siècle mais, petit à petit, l’expression n’a plus gardé que le sens de bien manger sans doute à cause de l’homonyme « chair », qui représentait la viande (donc petite, je ne pensais pas si tordu qu’on a voulu me le faire croire). Madame de Sévigné écrit dans une de ses lettres : «Il ne sait quelle chère me faire», ici dans le sens de visage, mais dans une autre : «Elle me disait hier à table qu’en Basse-Bretagne on faisait une chère admirable» c’est-à-dire qu’on mangeait fort bien, qu’on pouvait «faire gras», comme le Mardi Gras, avant Carème.
Et oui, le double sens des mots : danger des homonymes, cette fois je parlais de « chère » mais il y a d’autres homonymes complexes. Homonyme homophone, homonyme homographe. Sot, saut, sceau, seau ou moule, page… Souvenirs d’école… Encore…
Laisser un commentaire