Faire long feu

Pour beaucoup cette nuit du 31 octobre, c’est la nuit d’Halloween. En France, cette fête importée des États-Unis semble avoir fait long feu. Cette année, il me semble qu’il y a eu moins de publicité autour de l’événement. L’expression “faire long feu” m’a longtemps dérangée, alors, le prof qui sommeille en moi se dit qu’une précision est nécessaire. Faire long feu ou ne pas faire long feu.

Au temps des armes sans douilles à amorces, faire long feu signifiait que lorsque l’on mettait le feu à la poudre d’un mousquet (ou d’un canon) après avoir chargé l’arme, la poudre se consumait quelquefois en fusant au lieu d’exploser. “Faire long feu” caractérisait donc l’échec. L’expression  “faire long feu” signifie donc :

  1. Ne pas partir, en parlant d’une arme à feu.
  2. Manquer son but.

MAIS l’erreur commune est de considérer que ne pas faire long feu est la négation de “faire long feu” et signifierait alors réussir.

Or, il s’agit d’une expression totalement différente, qui ne tire pas son origine du fonctionnement des armes à feu, mais fait référence au feu en général et elle signifie alors « ne pas durer longtemps ».

En conclusion, Halloween a fait long feu : ça n’a pas pris aussi bien que certains auraient voulu, en résumé c’est plutôt raté ou Halloween n’a pas fait long feu, ça n’a pas duré. Deux expressions contraires qui diraient au fond la même chose.

De toutes façons, je vous l’ai dit, quitte à parler de diableries, moi je préfère Grand Mère Kalle.

Je reviens sur mon idée de départ, la nuit du 31 octobre. On s’amuse, tant mieux mais pour moi la nuit du 31 octobre au 1 novembre, c’est depuis maintenant quarante-six ans la nuit du 5-7.

Certains d’entre vous se souviennent peut-être de l’incendie de ce dancing situé  à Saint-Laurent-du-Pont en Isère, incendie qui s’est produit le 1er novembre 1970 vers 1 h 40 du matin et qui a fait 146 morts. La quasi-totalité des victimes étaient âgées de moins de 26 ans et ont succombé par asphyxie ou ont été brûlées vives. (Il y avait parmi elles une jeune fille que je connaissais bien, ex-camarade de classe, Chantal Bénévent, qui m’avait accompagnée au lycée l’après-midi précédant la tragédie, j’étais en terminale.)

La boîte de nuit avait été inaugurée en avril 1970 et accueillait régulièrement des jeunes de Voiron, Grenoble et Chambéry.

Les causes de l’incendie firent l’objet de multiples rumeurs : vengeance et même attentat, des réactions “logiques” permettant de donner une cause rationnelle à des faits inacceptables s’ils relèvent du seul accident.

Quand le sinistre s’est déclaré environ deux-cents personnes étaient présentes dans l’établissement. Le feu débuta on ne sait pas précisément comment mais il s’est rapidement propagé au décor fait de papier mâché et de polystyrène expansé (c’était la mode des années 1960-70).

Au 5-7, les sorties de secours ont été verrouillées pour éviter les resquilleurs et les jeunes tentèrent vainement de sortir par les tourniquets d’entrée. Lorsqu’une trentaine de personnes réussit à s’échapper en forçant une issue de secours, l’appel d’air a créé une « boule de feu » qui traversa la discothèque. Il n’y avait pas de téléphone (et les portables n’existaient pas encore), L’un des directeurs de l’établissement, Gilbert Bas, se rendit en voiture à Saint-Laurent-du-Pont pour donner l’alerte mais à son retour sur les lieux avec les secours, le feu avait englouti le bâtiment et de nombreux jeunes.

La presse relève le caractère dramatique de l’incendie et la jeunesse des victimes, avec des gros-titres tels que « le bal maudit », « le bal tragique » ou « la mort a fermé le bal ».

Comme le 9 novembre 1970, soit huit jours après la tragédie, le général de Gaulle meurt dans sa propriété de La Boisserie à Colombey-les-Deux-Églises, l’hebdo satirique Hara-Kiri (ancêtre de Charlie Hebdo), souhaitant manifester sa désapprobation face au manque de professionnalisme de certains journalistes lors de l’incendie du 5-7, titre en couverture de son numéro 94 en  date du lundi 16 novembre 1970 : « Bal tragique à Colombey – 1 mort ».  bal-tragique

L’hebdomadaire est alors interdit de parution le lendemain.  (Une rumeur veut que le ministre de l’Intérieur de l’époque, Raymond Marcellin, ait décidé lui-même de cette interdiction. D’autres, plus sceptiques sur les délais de réaction réels des ministères, veut que la procédure d’interdiction, déjà en cours, ait simplement abouti par coïncidence cette semaine-là.) En réalité l’hebdomadaire n’a pas été totalement interdit mais la mesure prise par le pouvoir obtenait le même but, Hara-Kiri Hebdo était « interdit à l’exposition et à la vente aux mineurs ». Une semaine plus tard est lancé Charlie Hebdo. Le prénom Charlie dans le titre serait une référence à Charles de Gaulle selon Georges Wolinski.

Un mémorial en l’honneur des victimes a été inauguré le 13 juin 1976, à l’emplacement du dancing. Une cérémonie en l’honneur des victimes et familles de victimes s’y déroule annuellement. À l’arrière de la stèle portant le nom des jeunes décédés, on peut voir un des tourniquets.

Personnellement je ne suis jamais allée voir ce monument. À quoi bon ? Je pense assez régulièrement à cette horreur, toute seule.

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3 réflexions sur « Faire long feu »

  1. Une expression qui tombe en désuétude me semble t’ il , tout comme Halloween d’ ailleurs, l’ ambiance générale n’ étant plus à la fête.
    Peut être pourrait on ressortir l’ expression : à quelque chose malheur est bon, puisqu’ après ce drame, des mesures furent prises pour éviter qu’ il ne puisse se renouveler

  2. Bonjour,
    Je vis à Toronto mais lorsque j’étais petit, je vivais dans la région Rhône-Alpes et j’ai entendu parler de cette tragédie. Jodel St Marc, un réalisateur de film a créé le documentaire LA DERNIERE NUIT AU CINQ SEPT. J’ai du mal a trouver ce documentaire au complet. Pourriez vous me dire ou le trouver ?
    Aujourd’hui encore, je reste très touché par cette tragédie
    Merci beaucoup

  3. Michaël,
    Je viens de lire votre commentaire et je ne sais que répondre. J’ai regardé sur internet ce qu’il y avait à propos de Jodel Saint-Marc et j’ai trouvé quelques images de ce monsieur, mais c’est très court ; il me semble effectivement avoir vu un reportage à la télévision beaucoup plus long il y a quelques années mais je n’ai aucun souvenir de l’auteur.
    Comme je le dis au début de mon blog, je fais part de mes états d’âme, je partage des souvenirs et quand je peux répondre je le fais volontiers mais je ne passe pas mon temps en recherches sur les événements du passé “récent” et dans ce cas-là douloureux. Mon aide aujourd’hui sera minime, je n’ai trouvé que ça : https://www.dailymotion.com/video/x10c4e.
    “Show must go on”. La vie continue et les images s’effacent peu à peu. Moi j’ai surtout en tête l’alignement de 147 cercueils au Stade de Glace. C’était horrible. Et puis le jour de l’enterrement de Chantal (il y avait du soleil).

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