Ni la peur, ni l’échafaud… Contrairement à ce que ma grand-mère m’avait raconté la poursuite d’études supérieures n’est plus un remède contre la pauvreté ou la précarité. Elle m’aurait menti ? Pas possible ! Les choses ont changé trop vite. Le fameux « ascenseur » social est en panne. Attention, c’est peut-être même la chute libre pour l’ascenseur !
La nouvelle génération se heurte au chômage de masse, qu’elle soit diplômée ou non. Pourquoi ? Il y a des tas de raisons, l’une d’elle, non avouée ou alors si peu, c’est que certains recruteurs se plaignent de la baisse du niveau des candidats. Aujourd’hui je m’arrêterai sur ce point qui n’explique pas le chômage mais qui met en évidence certaines réticences des employeurs.
Le niveau des diplômés baisse et la baisse s’accélère. Il y a quelques années quand j’évoquais ce sujet en réunion d’enseignants, j’ai été, à plusieurs reprises, contrainte au silence. Je ne me suis pas tue immédiatement, ça n’était pas dans ma nature, mais seule, pas facile de se faire entendre. Et il n’y avait même pas internet pour faire savoir ce que l’on voit. Aujourd’hui, j’en profite, tant qu’on peut s’exprimer…
Comme le disait Paul Langevin à la Libération : « L’Ecole doit assurer la promotion de tous, et la sélection des meilleurs ». Bravo Monsieur Langevin ! On vous a oublié comme on a oublié Jules Ferry et les « Hussards noirs de la République ».
Une loi votée en novembre 1985 (n°85-1371), a créé les baccalauréats professionnels et répondu à l’objectif de 80% d’une classe d’âge atteignant le niveau du baccalauréat en l’an 2000. « 80% d’une génération au niveau du bac », c’était le slogan emblématique lancé en 1985 par Jean-Pierre Chevènement lorsqu’il était ministre de l’Education Nationale. Formalisée par Lionel Jospin dans sa loi d’orientation sur l’éducation en 1989, la démocratisation scolaire va être le fer de lance des années 80/90. Après le collège pour tous et la réforme Haby qui supprime les filières spécialisées au collège, le lycée pour tous. Dans un souci de démocratisation, sans se préoccuper de l’hétérogénéité des élèves en sixième, elle ne prévoyait pas les moyens susceptibles d’y remédier, on ne se préoccupa pas de définir le socle commun des connaissances fondamentales à acquérir à l’école puis au collège. On ne prit pas la peine non plus de mettre en place des méthodes pédagogiques appropriées aux élèves retardataires ou moins favorisés. Et ça continue maintenant depuis quelques années au lycée.
Mais qui a eu l’idée de dire 80% de réussite au bac ? A la différence de 1968, quand le taux de réussite avait grimpé à 81,3 % d’admis pour retomber à 66 % l’année suivante, le taux de réussite au baccalauréat tourne désormais autour de 80 % et bien au delà pour certaines séries depuis 1998. Quelle est donc la valeur de ce diplôme aujourd’hui quand on sait qu’un grand nombre de jeunes ont été «sacrifiés» sur l’autel de la démagogie ?
Plusieurs générations d’écoliers, collégiens, lycéens et même étudiants ont déjà été privées d’une instruction de qualité, de la maîtrise de la langue, de culture générale ; l’école a été pour elles une longue garderie. Ces générations ont reçu des diplômes qui ne représentent plus l’acquisition de connaissances solides. Force est de constater le recul du niveau moyen des connaissances et des savoirs fondamentaux : recul de l’orthographe, de la grammaire, de la rigueur du langage, de la rhétorique et par là-même de la pensée elle-même. L’effondrement de la maîtrise du français est un sujet tabou, pourtant il suffit d’écouter la radio, la télévision, de lire journaux et magazines pour en être convaincu et effondré. (J’ai proposé à Clara de relever les erreurs diverses dans les journaux télévisés et autres pendant un mois puis de faire un florilège des erreurs et autres horreurs, ce pourrait être «amusant».) Avez-vous eu vent des fautes d’orthographe des communiqués de la Présidence (désinvolture ?) puis du PS (ignorance ?) au moment du décès de Madame Danièle Mitterrand ? Voilà deux liens pour voir :
Qu’est-ce que ça vous fait à vous ?
Pour en revenir à l’école, les têtes pensantes de l’Education Nationale manient la langue de bois (élément rebondissant, géniteur de l’apprenant, remédiation…). Et moi, je me gausse ! Les pontes du Ministère ont agi comme si le savoir n’avait aucune valeur, peu importait le contenu, on soignait le contenant. Les fiches de suivi, les cahiers d’évaluation, les livrets scolaires, bientôt il faudra que chaque enseignant embauche une secrétaire pour compléter la paperasserie qu’il doit traiter et répondre aux différents mails et notes de service.
Combien d’enseignants désabusés ? Démotivés, désespérés.
Combien de professeurs de français de collège se plaignent que la moitié de leurs élèves de sixième sont incapables d’écrire quelques lignes en français correct ?
Et les professeurs de mathématiques ? Ils ne sont pas mieux lotis. Plus de calcul mental. Plus de notions de base, de logique. Un désastre pour eux aussi. Certains obtiennent de bons résultats quand même : par exemple, un agrégé de mathématiques, pour ne pas perturber ses élèves par des notations frustrantes, propose de donner à l’avance aux élèves les corrigés des contrôles et la liste des exercices possibles.
J’avais demandé à mon inspecteur de me donner un lot d’attestations de réussite au bac à remettre aux élèves dès l’entrée en seconde pour éviter les tracas de préparation de cours, de corrections de copies, de temps perdu en conseils de classe… De toutes façons, quelle que soit la décision des enseignants au moment du conseil de classe, les élèves «montaient de classe». J’en ai long à raconter sur les commissions d’harmonisation pour les corrections, les délibérations de jury, les consignes impérieuses d’indulgence des inspecteurs, la centralisation des notes, les arrondis informatiques de notes, les appréciations sur les bulletins scolaires et les livrets.
Pour de multiples raisons, le système n’arrive plus à instruire, il essaie de retenir, de contenir. Il a cédé à la tentation du nivellement par le bas et du décervelage. Au moins, les citoyens n’oseront pas se manifester… intelligemment.
La déconfiture du système éducatif a des effets très graves, non seulement sur le niveau scolaire et culturel des jeunes générations, mais aussi sur le comportement social : esprit de compétition, goût de l’effort, respect d’autrui…. Ça commence à la maison, tout le monde semble l’oublier. Quand je bavardais en classe, je n’avais pas intérêt à me plaindre de la punition en arrivant, c’était peine complémentaire assurée. Aujourd’hui, l’enseignant jugé trop sévère est attendu à la sortie ou même carrément agressé en classe. Non, non, ce n’est pas une légende urbaine.
Comme disait Montesquieu: « Les lois de l’éducation sont les premières que nous recevons. » Si on ne les reçoit plus, ni à la maison, ni à l’école, on voit le résultat : sexisme, violence.
L’école n’est plus le temple du savoir, un lieu sûr. Ce n’est pas vrai ?
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