«Ah», comme disait ma grand-mère qui n’est plus parmi nous,malheureusement, depuis longtemps déjà : «Tout fout l’camp, les jeunes d’aujourd’hui, ne sont plus ce qu’ils étaient.» Certes, la jeunesse a changé mais la société en entier a changé. Heureusement ? Rien n’est moins sûr.
Le monde change, les enfants aussi, ils suivent le modèle parental. Y-a-t-il encore des règles, des lois immuables ? A-t-on posé des barrières, des garde-fous, disait Mémé, devant nos chers petits ? S’ils ne respectent rien, c’est qu’on ne leur a pas appris le respect. L’éducation, c’est ça : transmettre des notions diverses, le savoir, le savoir-faire et le savoir-être.
En résumé, les enfants d’hier étaient gentils, polis, bien élevés et respectueux (enfin, c’est ce qu’on dit aujourd’hui). Il est vrai que j’ai très tôt appris à dire « Bonjour Madame » ou Monsieur, voire Mademoiselle et j’ai transmis les mêmes règles à mes enfants. Sont-ils d’une autre époque ? Je me le demande parfois. Et je me dis « la faute à qui ? ».
Je leur ai dit aussi qu’on ne montre pas du doigt le monsieur au gros nez, ou le jeune homme aux boutons d’acné. On ne crie pas à la face d’une dame qu’elle est « moche… horrible », « qu’elle ressemble à un clown ». Ma fille Amandine m’a fait ce coup-là ; je m’en souviens bien, comme si c’était hier, partagée entre l’autorité : lui intimer l’ordre de se taire (ce que j’ai fait) et une énorme envie de rire (que j’ai retenue), d’autant que certains clients du restaurant, où la scène se passait, riaient déjà plus ou moins ouvertement. Il faut dire que le pseudo-clown était une blonde d’un certain âge (âge certain), maquillée comme une voiture volée, le cheveu crêpé et l’oeil bleui, verdi, noirci, la bouche rose shocking… oui vraiment un maquillage outrancier et… clownesque.
Je leur ai appris aussi qu’on laisse sa place assise dans le bus, le métro ou le tram, aux personnes plus âgées, aux handicapés ou aux femmes enceintes et enfin, qu’on essuie ses pieds sur le paillasson avant de rentrer dans une maison ou dans un magasin (on respecte ainsi le travail d’autrui).
À table, que ce soit à la maison, au restaurant ou chez des hôtes, moi, j’avais à peine le droit de parler, ma grand-mère disait que c’était encore trop ; de son temps c’était silence absolu des enfants pendant les (maigres) repas. Je demandais l’autorisation pour sortir de table, pas trop rapidement et l’autorisation était donnée si j’avais mangé un minimum. Il fallait manger de tout ; notre assiette était remplie et c’était une chance, donc nous n’avions pas le droit de rechigner, de grimacer devant un steak ou une cervelle d’agneau, ni même devant des épinards à la crème ou du céleri rémoulade. J’ ai appris à dire « merci, s’il vous plaît, bonjour et au revoir », les mots magiques qui ouvrent les portes. Mes enfants, à qui j’ai enseigné la même chose, m’ont fait le reproche de les avoir formatés « asociaux », c’est-à-dire trop différents des autres jeunes de leur âge.
Ma grand-mère (c’est elle qui m’a élevée ; ma mère, veuve, travaillait) m’a inculqué des valeurs morales comme le courage, le respect, la fierté, le goût du travail bien fait, l’honnêteté… Ma grand-mère était-elle un modèle en matière d’éducation parentale ? Certainement pas, un peu violente la technique pour faire rentrer les leçons : des fessées et des « petits tours » dans le noir de la cave. Elle voulait simplement imposer ses (les ?) lois, les « bonnes manières ». (Je hurlais souvent, ameutant ainsi les voisins sur la maltraitance dont j’étais victime. Pris de pitié, ils allumaient la lumière de la cave mais n’intercédaient pas vraiment en ma faveur auprès de ma grand-mère à laquelle je pense toujours avec affection).
Les parents doivent ou devraient être attentifs et aimants, conscients de leur rôle de parents. Ils ne sont et ne seront jamais des amis, des potes ou des copains, ils doivent tenir leurs distances en quelque sorte, être autoritaires mais pas trop (difficile de trouver l’équilibre, j’en conviens), mais ils sont, doivent être et rester toujours ceux sur lesquels on peut compter en toutes circonstances.
Les enfants d’aujourd’hui sont-ils devenus des monstres ? Peut-être ? Ils sont incapables de rester calmes et attentifs en classe, ils sont désagréables, impolis, grossiers, violents, voire même dangereux. Oui, mais à qui la faute ? À nous les parents, à nous ou aux autres, nos prédécesseurs. A force de vouloir donner tant et plus, à force de céder aux diktats de la société : un bon job, une belle maison, une belle voiture, des vacances lointaines, donc toujours plus d’argent, on finit par passer à côté de l’essentiel : l’amour à partager avec notre famille et surtout à passer à côté de notre mission de parents : donner des limites.
Si les femmes ont délaissé leur maison et leurs enfants, pas toujours de gaieté de coeur (oui certaines veulent rester à la maison malgré leurs diplômes), les hommes ont perdu leur autorité (ils sont tellement absents).
Parce qu’il faut toujours plus d’argent, les femmes travaillent et les enfants, à trois mois, sont confiés à une nounou ou à une crèche le matin et récupérés le soir par un père ou plus généralement une mère dans un état de stress et de fatigue incommensurable. Les bébés sont élevés : lavés, nourris, couchés sans qu’on prenne le temps de jouer, de leur parler. Eduqués ? On n’a pas de temps à leur consacrer, il y a trop de choses à faire, alors on les plante devant la télévision : nounou, garderie à moindre frais. Mais quelles images perçoivent-ils ? Qu’est-ce qui leur restera en mémoire ?
Pendant les vacances, les petits chéris sont en colonie ou en centre aéré. Papy et mamie (je préfère grand-père et grand-mère) sont souvent trop jeunes et trop égoïstes pour les câliner et faire des confitures, des tartes ou organiser des chasses au trésor. Des étrangers les prennent donc en charge.
Enfin, pour que les enfants restent le moins possible seuls à ne rien faire (l’inactivité les rend bêtes et obèses), on les inscrit au judo, tennis, escrime, piano, karaté, peinture… Encore une délégation. Il faut bien qu’ils vivent leur vie, deviennent des hommes ou des femmes autonomes, courageux, mais surtout, dans l’imaginaire collectif, il faut qu’ils deviennent riches et célèbres.
Pourtant à quinze ans, ils s’enferment presque tous dans leur chambre, leur monde ; ils rejettent le monde, notre monde ; ils sont seuls et ne veulent plus de contact parental. Ah ! Pas facile me direz-vous cette période ? Pas si difficile non plus. Comment faire ? Tenter de s’adapter mais avant qu’il ne soit trop tard.
Et si on changeait toute la façon de voir les choses ? Il faudrait qu’un parent cesse toute activité extérieure les premières années de la vie des enfants : le père ou la mère, celui qui en a envie, celui qui gagne le moins, celui qui est le moins disponible. Il me semble qu’on fait d’abord des enfants pour soi, alors pourquoi les confier à d’autres ? Il faut jouer avec eux, leur lire des histoires, faire du bricolage, de la cuisine, des gâteaux. Il faut les regarder tranquillement changer, grandir, s’épanouir. Dialogue et humour au programme quotidien. Ainsi la confiance s’installe et la connivence est plus aisée. Les enfants peuvent devenir plus facilement indépendants. Utopie ? Non, juste une volonté de changer.
Et si vous essayiez, vous les jeunes parents, de regrouper des parents qui ont une certaine conception de l’éducation, la même que vous de préférence. Et si vous créiez une association, une crèche, un club de… ce que vous voulez.
Soyez convaincus du bien-fondé de votre envie de changer, soyez précis pour convaincre les autres ; à la fin « bienvenue au club ». De nouveaux amis potentiels pour vous et vos enfants et un monde nouveau.
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