Diafoirus à l’école

A mes chers lecteurs, je rappelle que j’étais professeur d’économie avant et que j’ai souvent tempêté contre les changements de programmes, inutiles, injustifiés, incohérents et tout particulièrement inadaptés. Mais qui se soucie de la base, des soldats de deuxième classe ?

Voilà où m’a emmené un amphigouri. Le mot relevé, hier, dans un poème de timilo et hop, mon esprit est parti avec Diafoirus : l’économie, l’école, le reste.  Un amphigouri, (j’aime bien le mot), qu’est-ce que c’est ? Voilà comment il est défini dans le Larousse : «nom masculin. (Littéraire) Langage ou écrit obscur, embrouillé, peu intelligible.

Le discours de Diafoirus (et de quelques autres) est un amphigouri, il n’y a aucun doute. Le milieu dans lequel l’amphigouri est «tendance» aujourd’hui, est celui de l’enseignement. Cela ne vous semble-t-il pas contradictoire que de vouloir enseigner et de former tout en maniant un vocabulaire incompréhensible par le commun ? Si seulement, ce langage ne servait qu’à isoler dans des tours d’ivoire les inspecteurs, à les tenir éloignés des enseignants comme ils le sont des élèves, je pourrais encore le comprendre, mais ce jargon est fait pour briller, paraître. Société du bling-bling et de la peur.

L’aisance à s’exprimer dans un langage hermétique est devenu un passeport pour la réussite. Personne ne demande du sens à votre discours, pourvu qu’il paraisse intelligent. Celui qui n’a pas compris n’ose pas le dire et laisse causer. Plus incompréhensible est le discours plus il semble de valeur. Le fumeux mène au prestige et à l’avancement. (Commentaire en fin de « prêche » : c’était bien, très philosophique. ? Traduction : je n’ai rien compris à ce qu’il a raconté.) Moi, je connais les conséquences de la clarté et de la franchise. J’ai payé cher déjà le «dérangement» mais tant pis, à l’âge que j’ai, j’assume et je céderai encore moins qu’avant.

Je reviendrai sur le langage des économistes, des journalistes et des politiques, qui ne savent peut-être pas vraiment de quoi ils  parlent ; comme disait Coluche  (je cite) : «On s’autorise à penser dans les milieux autorisés qu’un accord secret/…/ C’est interdit d’en parler donc pas dans l’information non plus. « Qu’un accord secret pourrait être signé » c’est même pas sûr ! Et alors moi je dis que quand un mec, sur une information, il en connait pas plus que ça, il a qu’à fermer sa gueule ! Et même… Et même à la rigueur il s’rait pas venu on était pas fâchés.»

Mais j’en reviens à ce qui me chagrine, à l’école. Les élèves sortent du système en ne maîtrisant plus les acquis de base. Pourquoi ? Il y a des tas d’explications mais l’une d’elles tient au système même, à la langue de bois de l’Education Nationale». Si le «reférentiel bondissant» désignant le ballon semble être le fruit de l’imagination d’un écrivain en mal de rire, l’«outil scripteur», le stylo, existe bel et bien. Mais ce n’est rien encore. Lisez la suite :

Extraits des textes officiels régissant depuis 1996 l’enseignement du français au collège : le discours était au centre des programmes de français du collège.

« Toute énonciation a une dimension illocutoire qui correspond à l’action que le locuteur exerce sur l’allocutaire en s’adressant à lui : asserter, ordonner, questionner. « 
« Étudier le discours […] revient à s’interroger sur la façon dont un énonciateur précis s’adresse à un destinataire particulier dans une situation par le lieu et le moment de l’énonciation. En outre, un discours a une fonction (une visée) précise et l’énonciateur choisit de raconter, de décrire, d’expliquer ou d’argumenter selon l’effet qu’il veut produire sur l’énonciataire, dans une interaction énonciateur/ énonciataire.  »
« Un objectif central est affirmé par les programmes de collège : faire acquérir la maîtrise des discours. Et quatre formes de discours sont privilégiées pour le collège : narratif, descriptif, explicatif, argumentatif avec toutes leurs combinaisons. « 

Vous avez tout compris, vous ? Moi, non !

Je regrette le temps où après avoir appris à lire et à écrire, les élèves passaient à la dictée puis à la rédaction. Quand ils savaient déchiffrer les mots, les phrases simples, ils arrivaient à des lectures plus complexes. Ils s’attardaient alors sur la compréhension des textes puis sur les sensations, les impressions, les sentiments ressentis à la lecture.

J’ai suivi de loin le travail de mes enfants ; j’étais professeur et n’avait que peu de temps à, leur consacrer, j’ai entendu que le vocabulaire de la grammaire changeait : plus du tout de nom commun, d’article, mais des déterminants et je ne sais quoi d’autre. Au lycée, ce sont les études de textes qui m’ont étonnée. J’ai entendu parler de figures de style, d’effet recherché, de procédé d’énonciation, de classement de textes à l’intérieur de corpus… Que sais-je encore ? Autrefois, je lisais Rabelais, Montaigne, Voltaire ou Hugo en y prenant plaisir, simplement. Je me suis délectée des alexandrins hugoliens, du vocabulaire rabelaisien, de la vivacité voltairienne. Je ne m’inquiétais pas véritablement du fait que l’auteur ait voulu me manipuler, moi et un grand nombre d’autres lecteurs. Je lisais, j’appréciais ou pas, je donnais mon opinion, même quand on ne me la demandait pas (ça m’a coûté cher à l’oral de français du bac) ; je me sentais plus libre que mes enfants qui devaient faire étalage de leurs connaissances linguistiques, sémantiques, stylistiques plus que de leur appropriation des textes.

Je me demande ce que penserait Rabelais de pareil bourrage de crâne, on est bien loin de la substantifique moelle qu’il prônait «C’est pourquoi (il) faut ouvrir le livre et soigneusement peser ce que y est déduit (…) puis, par curieuse leçon et méditation fréquente, rompre l’os et sucer la substantifique moelle.» et je pense à deux autres citations qui conviennent ici :
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » toujours Rabelais
 » Mieux vaut une tête bien pleine qu’une tête bien faite » Montaigne.

Aujourd’hui (encore ?), les collégiens sont occupés à faire du simple avec du complexe en classant les textes dans les cases typologiques : narratif, descriptif, explicatif, argumentatif. Ils n’écrivent plus, ne lisent plus, ils décortiquent, trient, classent. Il parait  que « C’est une logique d’ensemble qui consiste à aller du général, c’est à dire l’approche discursive ou l’approche textuelle, vers le particulier, c’est à dire l’approche phrastique et les questions morphosyntaxiques.  » Est-ce clair pour vous  ? Pour moi, non !

Mais quel est le but recherché ?
Est-ce pour moderniser l’enseignement qu’on enfume tout ? La modernité a donné ses limites à la fin des années soixante quand les mathématiques sont devenues modernes. Moi, j’étais un cobaye et j’ai totalement décroché des maths à ce moment-là. Heureusement, j’étais une littéraire, une vraie avec latin même si à cette époque, on ne jurait déjà que par les bacs scientifiques.

J’ai été aussi une enfant sur qui on a testé la méthode globale en 1957-1958 : elle a bien marché sur moi mais sur combien d’autres élèves a-t-elle porté ses fruits ? N’empêche que bien que sachant lire au C.P., j’ai refait une année pour rien avec la vieille méthode B.A./BA. Mes enfants ont appris avec une méthode semi-globale. Où en est-on aujourd’hui pour la lecture ?

L’apprentissage de la langue pour les élèves socialement défavorisés, celui qui permet de lire et de penser (de s’intégrer), grâce à l’analyse des mots et des propositions, de leurs fonctions, semble peu tourmenter les novateurs. Ces intellectuels veulent briller, se rendre intéressants, innover, s’auto-féliciter, satisfaire la paresse des uns et la cuistrerie des autres. Peu importent les résultats, ils ont casé leur «savoir» ; ils l’ont bien étalé. Tant pis pour les élèves ! (Les enseignants ne font qu’appliquer les consignes ; les directives et les innovations viennent d’en haut.)

Etape par étape, l’enseignement de la langue à l’école a été méthodiquement démoli. Plus de dictées surprises mais des dictées préparées et des auto-dictées. Plus de rédaction, non plus. Il faudrait envisager la rédaction en Sms ? Tiens, et même la dictée.

Dès le plus jeune âge, l’élève acquiert de vagues connaissances (compétences ?) en linguistique qui débouchent sur un pur étiquetage, vide de sens réel.

Finies l’attirance pour les textes, leur saveur, leur valeur, elles ont définitivement succombé sous l’amphigouri pseudo-linguistique.

Commentaires

9 réponses à “Diafoirus à l’école”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *