Qui a tué Alexis de Villeneuve ?

Et si, toujours à propos de la Réunion, je vous parlais un peu d’Histoire ?  Pas dans un ordre chronologique mais comme ça me vient. Je vous ai dit quelques mots sur Saint Denis, hier et en pensant à cette ville, des idées arrivent.

Le 14 mars 1946, après des années de promesses non tenues, d’espoirs déçus, de discussions sans fin, l‘île de la Réunion n’est plus une colonie, elle devient département français. Au gouverneur succèdera un préfet et les fonctionnaires métropolitains arriveront en nombre. Les hommes politiques sont heureux car ils voient dans la départementalisation une solution aux problèmes économiques. La population est plus sceptique. Plus réaliste ? Que pouvons-nous en penser presque 70 ans plus tard ?

Revenons un peu sur cette histoire relativement récente.

Le projet de départementalisation avait été porté par deux députés communistes : Léon de Lepervanche et Raymond Vergès (père de Paul et Jacques) et adopté à l’unanimité à l’Assemblée Nationale. Le même jour, Guadeloupe, Guyane et Martinique obtiennent le même statut de département.

Quelques mois plus tard, au moment des élections législatives, la campagne électorale bat son plein mais les communistes ne sont pas favoris.

En plein centre de Saint Denis, samedi 25 mai 1946 en fin d’après-midi (les élections sont prévues le 16 juin), un homme de grande taille, élégant, costume gris blanc, chapeauté (comme le sont tous les hommes à la Réunion  et comme ils le seront encore pendant encore de longues années), quitte son domicile pour aller haranguer ses nombreux partisans assemblés sur la place ombragée devant la cathédrale. C’est Alexis de Villeneuve, conseiller général, maire de Saint Benoit, candidat MRP (Mouvement Républicain Populaire, droite) ; il est quasiment assuré de son élection.Au bas de l’avenue de la Victoire,  à l’angle de la rue de l’Eglise (aujourd’hui rue Alexis de Villeneuve), il ne peut plus avancer car des hordes de « pétroleuses » locales, soutenant les communistes, l’encerclent en faisant un charivari de tous les diables ; les unes tapent sur de vieux bidons de fer blanc, les autres soufflent dans des trompettes, d’autres encore utilisent des cornes de voitures. Il essaie de parler à ses partisans mais au milieu de ce vacarme épouvantable, trois coups de feu…

Alexis de Villeneuve est blessé, touché en plein coeur. Je passe les détails que de nombreux blogs, sites, journaux, livres relatent l’affaire.

Le 16 juin, son suppléant Marcel Vauthier, qui a été lui aussi agressé la veille de l’assassinat d’Alexis de Villeneuve, est élu largement.

Le 13 octobre 1946, les citoyens français adoptent, par référendum une nouvelle Constitution. A la Réunion, l’église et le MRP choisissent le NON, mais le OUI l’emporte largement avec 67% des voix (53% en métropole). La IV° République vient de naître.

Le 10 novembre 1946, de nouvelles élections législatives ont lieu. Ce sont les premières de la IV° République. Le département de la Réunion compte  trois (3) députés élus pour cinq (5) ans dans un scrutin de liste à la proportionnelle. La liste communiste emporte deux (2) sièges (Raymond Vergès et Léon de Lepervanche) et l’Union Réunionnaise un seul (Raphaël Babet).

Marcel Vauthier ne siègera en 1946 que de juin à novembre seulement. Pouvons-nous dire qu’Alexis de Villeneuve a été tué pour rien ?

Mais au fait qui a tiré ?

Dans la confusion, on ne sait pas trop et le flou a été soigneusement entretenu pendant des années. Un homme est arrêté ; l’arme appartient à Raymond Vergès ; Paul est accusé. Certains l’ont vu tirer, mais dans une bousculade, que voit-on ?

Quelques mois plus tard, en juillet 1947, après avoir entendu pendant cinq jours quarante deux témoins, les jurés populaires de la Cour d’Assises de Lyon reconnaissent Paul Vergès (fils de Raymond, le nouveau député) comme l’assassin d’Alexis de Villeneuve. L’assassin est condamné à cinq ans de prison avec sursis.

Mieux… Par la suite, Paul Vergès  sera amnistié. Amnistie : mesure d’apaisement à la fin d’un conflit. Ah bon ? Et pendant longtemps, il n’a pas fallu parler  de cette affaire, sous peine de poursuites. Maintenant, c’est moins secret mais toujours pas clair.

Paul Vergès dira, des années plus tard au juge Thierry Jean-Pierre, un autre dyonisien (né… à Mende le 27 juillet 1955, d’un père Réunionnais et d’une mère métropolitaine), propos qui seront rapportés dans le livre  « Vergès et Vergès, de l’autre côté du miroir », éditions Lattès, 2000 :

« Des coups de feu ont retenti. J’étais alors dans la mêlée, assez loin de de Villeneuve. Je me suis approché et j’ai désarmé un type qui tenait un revolver. J’ai fait passer l’arme à un camarade… » Bref, ni lui ni son petit camarade n’ont tiré avec l’arme de Raymond Vergès (pourtant c’est l’arme du crime  !) « … Ils m’ont collé cinq ans de prison avec sursis et nous ont libéré sans même nous infliger une peine équivalent à la détention que nous avions effectuée. Cette décision est absolument incohérente car enfin, de deux choses l’une, ou bien le jury considérait que j’avais voulu éliminer de Villeneuve et cela valait vingt ans de prison, ou bien il n’en avait pas la conviction et il devait m’acquitter. »

Pendant longtemps à la Réunion, interdiction absolue d’évoquer ce sujet : Paul Vergès a tué Alexis de Villeneuve. C’était du passé. Il ne fallait pas en parler.

Pourquoi ?

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