Fort de café

«C’est fort de café !» En lisant cette expression sur le blog de Magitte, des souvenirs du lycée sont revenus. Un cours d’histoire, des enseignants stagiaires et surtout un élève-prof qui craque devant une classe de jeunes filles. Je me souviens de ce jeune homme un peu coincé, habillé façon XVIème, pas siècle mais arrondissement, trop bourgeois friqué à la fois pour l’année 1970 et pour le quartier populaire dans lequel était implanté le lycée où il devait faire ses premières armes. (Ceci dit, aujourd’hui, plus de lycée dans le quartier mais un collège. Pourquoi ? Je vous le demande, même si moi j’ai ma réponse. Trop prolo le quartier !)

Je reviens donc à cet apprenti-professeur et à cette expression qui m’était inconnue et qui m’a fait sourire, pas rire franchement, mais sourire (très fort intérieurement) ; pas trop en apparence pour ne pas être traitée d’insolente en plus de bavarde.

J’étais un peu responsable de la colère du monsieur. Il m’accusait de parler avec ma copine dès qu’il avait le dos tourné. Ce n’était pas faux mais je n’étais pas la seule à babiller. Sa présence au lycée faisait couler beaucoup de salive. Un garçon dans nos murs. Une lycée de jeunes filles : ce n’était pas mixte à l’époque ; que des femmes et des jeunes filles ! Il y avait bien, depuis peu de temps, un prof de maths (un vieux garçon, pas très vieux puisqu’il a finalement épousé une élève de terminale), un prof d’espagnol, quadragénaire, costaud, de type rugbyman, extraordinaire enseignant qui m’a fait apprécier ses cours pendant une année et un vieux professeur de physique-chimie de type Professeur Tournesol (un peu sourd et un peu tête en l’air), que nous avons martyrisé pendant une année (la seule qu’il a passé dans cet établissement). J’en reviens donc au stagiaire qui faisait un essai de cours, cours tellement ennuyeux que, pour ne pas nous endormir, nous nous sentions obligées d’animer en chuchotant. Tout à coup, voilà notre jeune homme qui s’emporte en criant « Tout de même, c’est fort de café ! », se retourne violemment, trébuche sur l’estrade, se rattrape et proclame à nouveau, en nous regardant ma voisine et moi : «C’est fort de café !». Sourires dissimulés et ma question qui suit et a envenimé la situation « Monsieur, mais que signifie « C’est fort de café » ? Je n’ai jamais entendu ça. »

Il a cru que je me moquais de lui et s’est emballé. Il craquait. Notre enseignante, qui était son tuteur, conseiller pédagogique, lui a demandé de se calmer et elle a repris son cours et sa classe en main. Je ne sais pas exactement comment s’est terminé l‘affaire mais je pense qu‘il n’y a pas eu de problème, en tous cas : pas de violence, pas plus de cris, ni de scandale. Je suppose que notre prof a dû lui expliquer, en aparté, que nous étions des enfants du bas peuple, un peu rustres, en voie de civilisation… Je n’en sais rien mais elle a bien géré le « couac ».

Ceci dit j’ai découvert ce jour-là l’expression qui est une variante de « c’est  fort ! » (c’est fort, un peu fort, trop fort), expression qui date du XVIIe siècle et qui signifie la même chose, à savoir c’est exagéré, excessif, insupportable.

Pauvre garçon qui jugeait insupportables ces filles trop pipelettes !

« C’est fort de café » est passé dans le langage français au début du XIXème siècle ; il était très à la mode pendant la même période. Notre apprenti retardait un peu ; pas XVIème mais XIX ème…

L’extension « de café » est une plaisanterie autour du café, parfois trop fort. Le fait de rajouter le mot café accentue l’expression. Les Allemands, pour dire la même chose, utilisent « c’est du tabac fort ». Nos voisins espagnols, eux, disent « es el colmo » qui signifie : c’est un comble.

Je me demande quelle carrière a pu faire cet enseignant. A-t-il continué dans cette voie ? Lycée privé ? De toutes façons, il est à la retraite aujourd’hui. Heureusement !

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