J’ai utilisé récemment une expression française que l’on n’entend plus guère : « prêter main forte » et on m’a regardée bizarrement. Est-ce parce que nous sommes de plus en plus individualistes, égoïstes ou parce que nous ne savons plus réellement parler ?
Ne plus savoir parler… Ouh la la, il suffit d’entendre notre président. C’est le « roi de la lecture incertaine » et surtout du pataquès ou plutôt des hiatus, de l’absence de liaisons qui m’arrachent les (z)oreilles. Mais là, c’est une autre (longue) histoire. Je reviens à la main forte que l’on peut prêter.
Le terme « main-forte » est apparu au XVe siècle et désignait l’aide apportée à la justice et aux forces publiques dans le but de maintenir l’ordre. Il ne s’est plus employé seul à partir du siècle suivant, où l’on trouvait par exemple l’expression « tenir main forte » dont le sens était « venir en aide à quelqu’un« .
La forme actuelle « prêter main forte » date du XVIIe siècle. D’autres variantes telles que « prêter main vive » ont existé mais ne sont aujourd’hui plus employées.
Je reviens à la main forte pour maintenir l’ordre public et là, de nouvelles angoisses me viennent en vrac. Je pense à l’expression « les femmes et les enfants d’abord« . Sur le Titanic (et ailleurs) il n’y a pas que des hommes courageux ; souvenez-vous du capitaine du navire Costa Concordia ! Je voudrais vous rappeler que sur des images de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, on voit les femmes et les enfants en première ligne des manifestations ouvrières. Et oui, les femmes et les enfants sont envoyés en avant pour dissuader les forces de l’ordre de frapper et de tirer. Ça me fait penser à la mort de Gavroche dont je vous offre un extrait. Pour rappel : lors de la révolte de juin 1832, les républicains affrontent les gardes nationaux et les soldats du roi, envoyés pour rétablir l’ordre. Sur les barricades, les républicains manquent de munitions et Gavroche, comme d’autres, va récupérer les cartouches des soldats morts au combat.
Au moment où Gavroche débarrassait de ses cartouches un sergent gisant près d’une borne, une balle frappa le cadavre.
— « Fichtre ! » fit Gavroche. « Voilà qu’on me tue mes morts. »
Une deuxième balle fit étinceler le pavé à côté de lui. Une troisième renversa son panier.
Gavroche regarda, et vit que cela venait de la banlieue.
Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l’œil fixé sur les gardes nationaux qui tiraient, et il chanta :
On est laid à Nanterre,
C’est la faute à Voltaire ;
Et bête à Palaiseau,
C’est la faute à Rousseau.
Puis il ramassa son panier, y remit, sans en perdre une seule, les cartouches qui en étaient tombées, et, avançant vers la fusillade, alla dépouiller une autre giberne. Là une quatrième balle le manqua encore. Gavroche chanta :
Je ne suis pas notaire,
C’est la faute à Voltaire ;
Je suis petit oiseau,
C’est la faute à Rousseau.
Une cinquième balle ne réussit qu’à tirer de lui un troisième couplet :
Joie est mon caractère,
C’est la faute à Voltaire ;
Misère est mon trousseau,
C’est la faute à Rousseau.
Cela continua ainsi quelque temps.
Le spectacle était épouvantable et charmant. Gavroche, fusillé, taquinait la fusillade. Il avait l’air de s’amuser beaucoup. C’était le moineau becquetant les chasseurs. Il répondait à chaque décharge par un couplet. On le visait sans cesse, on le manquait toujours. Les gardes nationaux et les soldats riaient en l’ajustant…
Oui, de temps en temps, je m’inquiète des pouvoirs que l’on laisse à certains.
Comment s’installent les dictatures ?
Laisser un commentaire