Ce matin de juillet, il fait gris et la maisonnée dort encore. Alors, silence… et je pense. La nostalgie… « La nostalgie n’est plus ce qu’elle était », je me souviens avoir contraint ma grand-mère à apprendre par cœur les premières lignes de ce livre de Simone Signoret, non pas parce que c’était de la poésie ou de la grande littérature mais parce que c’était le livre que ma grand-mère tentait de lire alors qu’elle commençait à perdre la mémoire.
Ah ma grand-mère… Elle me serinait les mêmes histoires antédiluviennes et j’aimais ça quand j’étais petite, sauf que ça a commencé à devenir envahissant ; toujours les mêmes histoires en boucle, ça énerve surtout quand d’autres choses sont oubliées. Je crois que c’était des signes de la maladie d’Alzheimer mais il n’était pas facile d’en parler. Ces troubles de mémoire plus ou moins insidieux sont souvent cachés par la personne elle-même. L’entourage : ma mère (sa fille) préférait nier la réalité du problème. Moi, l’enquiquineuse, je ne savais que faire. « C’est l’ordre des choses… » me disait ma mère ; elle ajoutait : « Et toi tu nous fatigues avec ta volonté de tout gérer. » Alors lâchement, j’ai abandonné la partie. Et je suis partie, loin…
Il y avait des tas d’autres raisons à cet exil volontaire, il y a plus de trente ans. Sans doute une question de survie et le désir d’une vie tranquille. Marre de devoir se battre sans arrêt pour avoir le droit d’exister.
Notre vision du passé est toujours un peu faussée par notre subjectivité pourtant on noircit rarement le tableau, au contraire. On enjolive le passé, on l’édulcore ; on en vient à se nourrir de doux souvenirs, les meilleurs évidemment ; les mémoires heureuses cachent bien souvent les souvenirs plus tristes, plus douloureux. (ça n’est pas valable pour tout le monde, bien sûr), alors en comparaison, le présent paraît plus dur. Question : est-ce que plus on vieillit, plus on a la nostalgie de l’enfance ou de l’adolescence ? Sans doute. Ceci dit, maintenant, je me sens bien plus tranquille que je ne l’ai jamais été même si toutes les journées ne sont pas roses, je deviens sage. Optimiste ? Non pas vraiment, je garde la tête sur les épaules et j’essaie toujours de regarder la vérité en face.
La surenchère de mauvaises nouvelles dans les médias, avec l’impression récurrente que tout va de mal en pis, encourage à se réfugier dans un passé plus rassurant, simplement parce qu’il est connu mais on peut essayer de construire un avenir meilleur à son niveau, c’est un début. Il y a nos petits-enfants… Comment ne pas s’angoisser quand on pense à leur avenir ? On voudrait leur donner une belle enfance avec des souvenirs encore plus merveilleux que ceux que l’on a gardés (souvent enjolivés, je le répète).
Nous connaissons l’inquiétude liée au délitement des rapports sociaux, de la société en général et la peur liée aux progrès technologiques dont les tenants et aboutissants échappent à la plupart d’entre nous (Big Brother, chômage…), la peur des conflits latents, du terrorisme, du réchauffement climatique… Il y a eu dans le passé des choses horribles, mais c’est du passé, donc ça ne fait plus vraiment horreur. Le futur incertain a de quoi angoisser. Forcément, on se dit que c’était mieux avant.
Cette impression se vérifie dans les faits : le monde du travail en France était « mieux avant », pas dans la France de 1848 mais dans celle des années 1960, en plein dans les «Trente Glorieuses». Aujourd’hui, les faits tangibles, ce sont : du chômage de longue durée, des emplois de plus en plus précaires (CDD, temps partiels, «stages»…), des travailleurs trop pauvres pour se loger, la pression croissante sur les salariés pour être toujours plus productifs… On semble en avoir fini avec les cadences infernales mais la pression sur les employés est plus insidieuse ; tous les travailleurs quel que soit leur poste, leur qualification et leurs compétences sont menacés, à la merci de je ne sais quel plan de restructuration. On en vient à se dire que le paternalisme avait du bon.
Un autre exemple ? La nourriture. Manger chez grand-mère, c’est toujours bien meilleur qu’à la maison, à la cantine ou au resto d’entreprise. Certes, c’est en partie parce qu’il y a un lien affectif avec l’aïeule, ça nous rappelle l’enfance mais c’est aussi parce que la malbouffe existe. Les derniers scandales sont là pour nous le rappeler et ces jeunes qui vont de moins en moins au marché acheter des produits frais et encore moins souvent à la campagne voir à quoi ressemble une poule, un canard, une oie ou une vache, un mouton… ou comment poussent les carottes, les tomates, les pommes de terre, les fraises…
L’ignorance et la malbouffe, même si tout le monde connait en les conséquences et les dangers, restent trop grandes et trop présentes.
De la nostalgie à l’assiette, il n’y a pas loin pour la Française que je suis.
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