Dénoncer l’esclavage

Evoquer le 20 décembre et l’abolition de l’esclavage me ramène au lycée et aux cours de français et de philo. Je me souviens tout particulièrement de deux textes, un de Voltaire et l’autre de Montesquieu et de cette fameuse  controverse de Valladolid.

Charles Quint et les papes Paul III (1534-1549), puis Jules III (1550-1555) décidèrent d’organiser cette controverse de Valladolid. Elle durera  presque une année, d’août 1550 à mai 1551, en présence d’une quinzaine de théologiens. La question était de savoir : «Qui sont les Indiens : des êtres inférieurs ou des hommes comme nous, les Européens ?» La question  essentielle était en réalité : « Les Espagnols ont-ils le droit de dominer les Indiens d’Amérique ? ». Il s’agissait de justifier les crimes commis par les Espagnols et non, contrairement à une idée reçue : «Les Indiens d’Amérique ont-ils une âme ?» Puisque l’Église cherchait à convertir les autochtones, comme ce fut le cas, plus tard, en Afrique, la question paraît incongrue.

Il n’empêche que cette question a taraudé de nombreuses personnes pendant de longues années et qu’elle a servi de base à des textes intéressants. Comme je vous l’ai dit plus haut, je me souviens de Voltaire et du nègre de Surinam ainsi que de Montesquieu ironisant sur l’esclavage des nègres. Littérature, philosophie, où est la différence dans ces cas-là ?

Un petit rappel, peut-être ?

Le nègre de Surinam », extrait de « Candide », Voltaire.

« En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n’ayant plus que la moitié de son habit, c’est-à-dire d’un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite.
– « Eh ! mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l’état horrible où je te vois?
– J’attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre.
– Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t’a traité ainsi?
– Oui, monsieur, dit le nègre, c’est l’usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l’année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait: « Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux ; tu as l’honneur d’être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère. » Hélas ! je ne sais pas si j’ai fait leur fortune, mais ils n’ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous ; les fétiches hollandais qui m’ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d’Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste, mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germain. Or vous m’avouerez qu’on ne peut pas en user avec ses parents d’une manière plus horrible. »

Notez au passage que ce sont les parents qui ont vendu leur enfant, comme en France certains louaient les leurs, à la saison, au début du XX° siècle encore.

Un autre texte ?  J’ai vraiment envie de vous faire partager.

Extrait de « De l’Esprit des Lois » de Montesquieu : L’esclavage des nègres (Livre XV, chapitre 5) .
Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais : 
les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l’Afrique, pour s’en servir à défricher tant de terres. 
Le sucre serait trop cher si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves. 
Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête et ils ont le nez si écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre. 
On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir. 
Il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de l’humanité, que les peuples d’Asie, qui font des eunuques, privent toujours les Noirs du rapport qu’ils ont avec nous d’une façon plus marquée. 
On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Egyptiens, les meilleurs philosophes du monde, étaient d’une si grande conséquence, qu’ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains. 
Une preuve que les nègres n’ont pas le sens commun, c’est qu’ils font plus de cas d’un collier de verre que de l’or, qui, chez des nations policées, est d’une si grande conséquence. 
Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens. 
De petits esprits exagèrent trop l’injustice que l’on fait aux Africains. Car, si elle était telle qu’ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d’Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d’en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ?

Ces deux auteurs maitrisent l’art de la rhétorique. Voltaire se sert de Candide, un innocent qui est l’optimiste absolu et permet de mettre encore plus en évidence les diverses horreurs du monde : le froid et la faim, la maladie, les catastrophes naturelles (séisme de Lisbonne, tempête) et pire encore “le mal moral”: la stupidité des militaires, la guerre, la pauvreté, l’hypocrisie et le fanatisme religieux.

Montesquieu prête aux esclavagistes un raisonnement fallacieux tout au long de ce texte pour arriver à une conclusion : les chrétiens doivent traiter tous les hommes en frère
s, nous ne traitons pas les noirs comme nos frères
, donc les noirs ne sont pas des hommes
, ce qui conduit à l’autre conclusion : nous ne sommes pas de vrais et bons chrétiens. 

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