Pourquoi donc avais-je noté dans les brouillons : 16 avril 1952 «Casque d’or» ? Il devait y avoir une raison au moment où je l’ai fait mais elle m’échappe, cette raison. Oui, j’en vois déjà sourire… Et alors ? Etes-vous à 100% de vos capacités tout le temps ? Je m’arrête, je peux devenir rapidement blessante même sans le vouloir. Il n’empêche que la question est là ? Pourquoi ?
Le film «Casque d’Or» est sorti le 12 mars 1952 sur les écrans parisiens.
C’est un film de Jacques Becker, et pour moi l’un des plus beaux de l’après-guerre. Je vous le raconte vite fait si vous ne le connaissez pas.
Dans une guinguette en bord de Marne, à Joinville-le-Pont, la bande à Leca (Claude Dauphin) se repose. Les Apaches de Belleville (une bande, dirait-on aujourd’hui, de la racaille parisienne), des «marlous» ont emmené leurs dames prendre un peu de bon temps, au vert. Roland, le «distingué»,(William Sabatier) surveille de près sa maîtresse, Marie (Simone Signoret), prostituée, surnommée « Casque d’or » à cause de sa belle chevelure blonde. Leca a des vues sur Marie ; elle, excédée par la jalousie de Roland, regarde ailleurs et remarque Manda (Serge Reggiani), un ancien apache reconverti en charpentier sérieux, discret. Une danse et c’est le coup de foudre. Malheureusement, le monde des Apaches n’est pas fait pour les histoires d’amour, sans compter que Manda a derrière lui un passé qu’il veut oublier. Une énième version de Roméo et Juliette : l’histoire d’un amour impossible, marqué par le destin.
Du coup de foudre à l’échafaud…
Roland, lieutenant de Leca, a été tué dans un combat à la loyale qu’il a imposé à Manda. Leca, truand machiavélique tend un piège (chantage à l’amitié) dans lequel tombe le trop naïf Manda. Quand il comprend par qui il a été berné, il cherche à se venger, exécute Leca, se laisse capturer par la police, est condamné à mort. Casque d’or assiste à la décapitation, fin.
«Casque d’or» est une tragédie Belle Époque, évocation du Paris du début du XXème siècle, l’œil de Jacques Becker est précis, documenté mais le film s’inspire très librement de l’histoire véritable de Casque d’or, une prostituée cause d’une guerre opposant deux souteneurs apaches, Manda et Leca. Les mémoires de Casque d’or (sans doute réécrites par un journaliste) sont parues en feuilleton dans un journal de l’époque puis regroupées dans un livre sur le monde apache : « Chroniques du Paris apache (1902-1905) »).
Gentils, voyous, code de l’honneur, monde de la nuit, campagne radieuse… la Belle Epoque (pas pour tout le monde) se dévoile. On plonge dans un monde presque réel, vrai c’est sûr : gestes, accents, parler des personnages… Mythique, tragique, « Casque d’or est l’histoire d’un combat pour la liberté, pour l’émancipation d’un milieu, d’un passé.
Le film joue sur les contrastes, la lumière et la nuit, le blanc et le noir ; Jacques Becker possédait un sens indéniable du récit cinématographique : les dialogues sont écrits avec précision mais la force du film tient aux images, aux ambiances, et même à certains silences. « Casque d’or » est mené à un rythme étonnamment calme, donnant plus de poids aux drames de ses héros ainsi que fierté et dignité à ces êtres brisés par le destin.
Dans la réalité, l’histoire fut moins sanglante : «Casque d’Or, surnom d’Amélie Elie.
– 17 juin 1879 : Naissance d’Amélie Elie à Orléans.
– 1894 : Début d’Amélie dans la prostitution à quinze ans avec le surnom de Casque D’or.
– 1898 : Rencontre d’Amélie et de Joseph Pleigneur, dit Manda, chef de la bande des Orteaux.
– Décembre 1901 : Amélie quitte Manda et s’installe avec François Dominique, dit Leca, chef de la bande des Popincs.
– Décembre 1901 : Manda poignarde et blesse Leca.
– 2 janvier 1902 : La bande des Orteaux investit l’hôtel de Leca, mais il n’y a personne !
– 5 janvier 1902 : Bataille rangée entre les Orteaux et le Popincs.
– Janvier 1902 : La presse s’empare de l’affaire, Manda fini par être arrêté et Casque d’or devient une véritable vedette.
– Mars 1902 : Dernière rixe entre les Orteaux et les Popincs. Leca est considéré comme un criminel et s’enfuit en Belgique.
– 30 et 31 mai 1902 : Procès de Manda. Il est condamné au bagne à perpétuité.
– Juillet 1902 : Arrestation de Leca en Belgique et extradition vers la France.
– 20 octobre 1902 : Procès de Leca. Il est condamné à 8 ans de bagne.
Manda et Leca ont été tous deux condamnés au bagne, déportés à Cayenne. Tous deux mourront là-bas, Leca lors d’une rixe survenue après la fin de sa peine, puisqu’il avait décidé de rester à Cayenne, et Manda, redevenu honnête, reconverti en infirmier-chef, est mort des conséquences du climat des îles (malaria, dysentrie… au choix…).
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Pourquoi le film, reconnu beau et bon film, des années plus tard, fut-il, en son temps un échec public et critique ? Sans doute en raison de sa noirceur de certains personnages, de la violence, du réalisme ? La passion et la trahison ne rendent pas fiers mais personne n’oubliera ces amants-là qui danseront pour l’éternité sur l’air du « Temps des Cerises. »
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