La correction ou le double sens des mots. La polysémie est-elle spécifique à la langue française ? Je ne crois pas mais je ne suis pas une spécialiste de la sémantique. Je sais simplement qu’un même mot peut avoir plusieurs sens et c’est ce qui valut à ma fille et à ses petits camarades de classe, il y a un quart de siècle, un zéro.
Ce jour-là, alors que mon aînée était en CE1, l’institutrice (qui ne s’appelait pas encore professeur des écoles mais qui néanmoins faisait un travail considérable, efficace, de qualité), Madame Leroy demanda à ses élèves de rédiger des phrases avec le mot moule dans ses différentes acceptions. Je ne me souviens pas comment elle avait rédigé les consignes de travail mais le résultat fut catastrophique, la quasi totalité des élèves, pour ne pas dire, tous, récoltèrent une bulle. J’avoue que j’ai ri des dépits simultanés de l’institutrice et de ma fille. Les deux étaient sans doute vexées, au bord des larmes du moins en ce qui concerne ma fille, l’une de n’avoir pas mené sa tâche d’enseignante à bien (communication inefficace par manque de clarté ou inadaptation du langage à son public), l’autre d’avoir récolté un zéro qui fut le seul de sa longue mais rapide carrière d’étudiante.
Allez donc faire comprendre à des élèves de sept ans que l’on désire plusieurs phrases avec les différents sens de moule. Ils rédigèrent bien le nombre demandé de phrases mais le moule fut « à gaufres » (il y avait sans doute des fans de Tintin et du Capitaine Haddock), à tarte, à manqué, peut-être à fromage, à biscuit, à gâteau ; il y eut certainement des moules à plâtre pour ces œuvres inestimables dont vous avez dû être dotés à un moment ou à un autre, mais de moules venant du verbe « moudre » ou des coquillages en provenance de Bouzigues ou d’ailleurs, aucun. Je ne parle même pas de moule familière, encore que, certains coquins de sept ans ont déjà acquis un bon vocabulaire argotique.
Je suis sûre que cette petite bande d’élèves n’oubliera jamais les homonymes, ou comment les mots ont parfois plusieurs sens. Imaginez aussi la difficulté d’un étranger apprenant le français avec les homophones, quand il entend VERRE, il peut penser Vin, verre de vin, mais il y a le vert de gris, le ver de terre, le vair de la pantoufle de Cendrillon, le « vers huit heures » ou celui de qui vous voulez, de La Fontaine à Hugo en passant par Marot…
Il me faut revenir à mon sujet du jour, par correction, après l’annonce. Zebda encore : « La correction », un titre de leur dernier album « Second tour ». Qu’est-ce que la correction selon eux ? Lisez et écoutez…
La Correction de Zebda :
Y a un texte un peu partout sur les murs
Pour le lire putain ! Y faut une armure
Une phrase qui décalque en l’approchant…
Il faut la corriger sur le champ
Oh quel tabac ! C’est trop balèze
Cet avis de décès, un vendredi treize…
C’est quoi ce kif ? C’est du vice ou vers, ça ?
C’est pas un français qui a écrit ça
Mais quelqu’un qu’aurait les oreilles et les paupières
Chargées comme un casier judiciaire
Ou qu’est tombé en laissant sur le caniveau
Le meilleur bout de son cerveau
Qu’est-ce que je lis
C’est du joli
Les hommes naissent, où ça ? Mais lis !
Qu’est-ce que je lis
Que c’est joli
Les hommes naissent…
Ce texte est le croisement improbable
D’un bandit de chez moi avec un cartable
Libres et égaux… entre midi et deux,
Libres peut-être mais privés de CO2
Alors… sans prétention aucune
Je corrige, cette lacune
Et mieux j’ajoute au fond du pot
Un post-scriptum… fort à propos
Libres mais quand ? Les jours vacants,
De distribution de capotes au Vatican
J’ai ri, j’ai ri, mes potes idem
Car c’était moins la solution que le problème
Qu’est-ce que je lis
C’est du joli
Les hommes naissent où ça ? Mais lis !
Qu’est-ce que je lis
Que c’est joli
Les hommes naissent
Mais ça va pas !!
Est-ce un décret, est-ce une règle ?
Qui est derrière cette phrase espiègle
Quel est cet esprit qui milite ?
Ce génie que je félicite
Car avouez qu’une telle énormité
Faut avoir mis des graines dans son thé
S’ils sont égaux les hommes, c’est à quelle heure ?
Je veux pas rater ce rendez-vous du bonheur
Je veux du concret, fais moi le portrait
Fais-moi le plan de la fabuleuse contrée
La blague est du plus bel effet
Puisque comme on dit chez nous « le mal est fait »
Qu’est-ce que je lis
C’est du joli
Les hommes naissent où ça ? Mais lis !
Qu’est-ce que je lis
Que c’est joli
Les hommes naissent
Mais ça va pas !!!
Mais ça va pas !!!
*****
Zebda nous parle d’une phrase tronquée : « les Hommes naissent« … Oui, ils naissent et demeurent libres et égaux en droits depuis la déclaration des Droits de l’Homme mais ce ne sont souvent que des mots.
Et la correction, alors ? Dans cette chanson, la correction c’est l’action de rectifier, de modifier, d’améliorer pour rendre du sens, rendre le sens à la phrase.
La correction c’est aussi l’examen d’un devoir, le relevé des erreurs qu’il comporte, en vue d’estimer la valeur et de le noter ou une rectification apportée à un calcul, à une mesure, à une observation pour obtenir un résultat exact. Enfin, c’est une peine, un châtiment infligé(e) en vue d’amender le coupable, ce qui donna jadis des institutions aujourd’hui disparues : les maisons de correction devenues centre d’éducation surveillée… si rares. Une bonne correction c’était une « rouste » (généralement de votre père) qui vous remettait les idées en place et vous faisait filer droit.
En ce qui me concerne, la correction est aussi une qualité fondamentale dont certains sont dotés, d’autres non. Etre correct, c’est être respectueux de sa parole, de la parole donnée, être poli, presque courtois, respectueux des règles de vie de sa société ; certains hommes sont corrects, d’autres non ; le statut social, la fortune, la confiance en soi n’a rien à voir là-dedans, bien au contraire. J’en connais des qui se disent instruits, intelligents, éduqués, souvent imbus d’eux-mêmes, mais sans aucune correction : des goujats, des malappris, des rustres, des gougnafiers, aurait dit un certain médecin qui aimait beaucoup ce mot.
Je terminerai avec un bel exemple de double sens, d’ironie et de correction de langage :
– Et moi qui me sens si seule (…).
– Seule mon cul, dit la fillette avec la correction en langage qui lui était habituelle… (Raymond Queneau, Zazie,1959).
Laisser un commentaire