Presbytère

N’avez-vous jamais un mot qui vous trotte dans la tête, en boucle ? Un mot ou un nom que vous vous rabâchez et qui finit par vous mettre mal à l’aise. Ce matin, je ne sais pourquoi, c’est Pic de la Mirandole qui me turlupine. Alors je suis allée faire un tour sur Wikipedia (je vous donne le lien mais je n’ai pas le temps de tout lire maintenant).

Je me souviens d’une époque, j’étais très jeune, pendant laquelle le mot presbytère me harcelait. Il faut dire que j’avais lu ce texte :

« À huit ans, j’étais curé sur un mur. Le mur, épais et haut, qui séparait le jardin de la basse-cour et dont le faîte, large comme un trottoir, dallé à plat, me servait de piste et de terrasse, inaccessible au commun des mortels. Eh oui, curé sur un mur. Qu’y a-t-il d’incroyable?

J’étais curé sans obligation liturgique ni prêche, sans travestissement irrévérencieux, mais, à l’insu de tous, curé. Curé comme vous êtes chauve, monsieur, ou vous, madame, arthritique. Le mot «presbytère» venait de tomber, cette année-là, dans mon oreille sensible, et d’y faire des ravages. «C’est certainement le presbytère le plus gai que je connaisse…» avait dit quelqu’un. Loin de moi l’idée de demander à l’un de mes parents : «Qu’est-ce que c’est, un presbytère ? » J’avais recueilli en moi le mot mystérieux, comme brodé d’un relief rêche en son commencement, achevé en une longue et rêveuse syllabe… Enrichie d’un secret et d’un doute, je dormais avec le mot et je l’emportais sur mon mur. «Presbytère ! » Je le jetais, par-dessus le toit du poulailler et le jardin de Miton, vers l’horizon toujours brumeux de Moutiers. Du haut de mon mur, le mot sonnait en anathème : « Allez ! vous êtes tous des presbytères ! » criais-je à des bannis invisibles.

Un peu plus tard, le mot perdit de son venin, et je m’avisai que « presbytère» pouvait bien être le nom scientifique du petit escargot rayé jaune et noir… Une imprudence perdit tout, pendant une de ces minutes où une enfant, si grave, si chimérique qu’elle soit, ressemble passagèrement à l’idée que s’en font les grandes personnes…

– «Maman ! regarde le joli petit presbytère que j’ai trouvé !

– Le joli petit… quoi ?

– Le joli petit presb… »

Je me tus, trop tard. Il me fallut apprendre – « Je me demande si cette enfant a tout son bon sens… » – ce que je tenais tant à ignorer, et appeler « les choses par leur nom… »

– « Un presbytère, voyons, c’est la maison du curé.

– La maison du curé… Alors, M. le curé Millot habite dans un presbytère ?

– Naturellement. .. Ferme ta bouche, respire par le nez… Naturellement, voyons…

J’essayai encore de réagir… Je luttai contre l’effraction, je serrai contre moi les lambeaux de mon extravagance, je voulus obliger M. Millot à habiter, le temps qu’il me plairait, dans la coquille vide du petit escargot nommé « presbytère… »

– Veux-tu prendre l’habitude de fermer la bouche quand tu ne parles pas ? A quoi penses-tu ?

– À rien, maman… »

… Et puis je cédai. Je fus lâche, et je composai avec ma déception. Rejetant le débris du petit escargot écrasé, je ramassai le beau mot, je remontai jusqu’à mon étroite terrasse ombragée de vieux lilas, décorée de cailloux polis et de verroteries comme le nid d’une pie voleuse, je la baptisai « Presbytère », et je me fis curé sur le mur. »

COLETTE, « Le curé sur le mur », La Maison de Claudine, 1922.

Par le plus curieux des hasards, cette année-là, à Molines-en-Champsaur, j’étais logée au presbytère de la colonie de vacances des Éclaireurs de France dont je faisais partie.

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Merci à trublion de m’avoir signalé que les commentaires d’un article précédents étaient fermés. Ça y est, c’est réparé.

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3 réflexions sur « Presbytère »

  1. L’ imagination des enfants superbement racontée !
    Pour moi, ce mot me replonge dans ma jeunesse, les jeudis du patronage, avec le plus souvent, un western en noir et blanc !
    Quand au Pic de la Mirandole, un audacieux à la recherche de la vérité !
    Bonne journée Françoise
    Bisous

  2. Celui qui a une presbytie n’est-ce pas un presbitre ? c’est un gars qui voit mal ? alors celui qui habite un presbytère ne devrait pas bien voir claire ? c’est logique non ?

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