A quoi est-ce que je pense en cette fin de journée ? Sans raison, alors que tout va bien (vite dit) : au rouge. Pas le rouge à boire, je préfère et de loin le champagne, mais au rouge, une couleur que j’aime. Je pense à nouveau à mon court article d’hier ; je n’ai pas beaucoup écrit, j’ai laissé Bernard Lavilliers vous chanter « Les Mains d’Or »… Et de là, voir rouge, se fâcher tout rouge : être ou se mettre en colère, il n’y a qu’un pas. Le rouge de l’acier en fusion et le noir des usines fermées. Comment ne pas crier ?
Ils ont été nombreux dans les aciéries, les usines à se mettre en colère. Qu’est-ce que ça a changé ? Les usines ont fermé. Pourquoi est-ce que les révoltes n’obtiennent pas les résultats escomptés ? Pourquoi ? Pourquoi les espoirs du printemps en Tunisie meurent sur un quai en Europe ? Pourquoi la démocratie française actuelle contraint-elle au silence les citoyens sitôt qu’ils ont donné leur voix à un élu ? L’élu qui, une fois en poste, oublie qu’il est là par la volonté du peuple et pour le représenter. Pas pour s’arranger avec… le ciel ou n’importe qui de « puissant ». Pourquoi oublie-t-il ce qu’est la démocratie ? Pourquoi nous laissons-nous faire ?
Attention, ils sont de plus en plus nombreux à nous plumer. Nous multiplions le nombre de nos représentants qui nous coûtent de plus en plus cher.
Croyez-vous qu’une étiquette politique de droite ou de gauche veuille dire encore quelque chose aujourd’hui ? Un socialiste qui roule en « Porsche » ou je ne sais plus quelle voiture, paie un loyer de 35 000€ mensuels, etc, alors que de nombreux Français diplômés rament pour gagner le SMIC ou à peine plus, en souffrant, 39 heures par semaine, plus les temps de transport : 3 voire 4 heures par jour, en se demandant de quoi leurs lendemains seront faits. Est-ce que nous pouvons tolérer cela plus longtemps ?
On nous parle sécurité, intégration, immigration, etc, juste pour nous tenir éloignés des vrais problèmes : une Education Nationale qu’on assassine systématiquement, consciencieusement…., une santé Publique qu’on saigne, qu’on démolit, sans compter l’agriculture, la mer, les chemins de fer, la poste… L’avenir n’est pas rose. Faut-il noircir le tableau ?
Non, mais que faire ?
Nous nous taisons. Pourquoi ?
Rouge de colère, je l’ai été, pas souvent, mais quand même… Face à la bêtise, à la méchanceté et par dessus tout face à la mauvaise foi, j’ai crié. Crié, mais qu’est ce que ça a changé ? Crier tout seul ne sert à rien. Quand le problème est général, national ou, encore plus grand, plus vaste il faut se souvenir des mots de Karl Marx « Prolétaires du monde entier, unissez-vous ! » Rappel de la définition du prolétaire selon Marx : ensemble des salariés et des chômeurs qui sont considérés comme des salariés sans emploi ; le prolétariat est la classe sociale qui, pour avoir de quoi vivre, est obligée de vendre sa force de travail (force qui peut être désormais intellectuelle) à la classe antagoniste qui dispose du capital et des moyens matériels de production ou en plus résumé et plus clair : le savoir et le savoir-faire contre l’argent.
Notre monde est un peu, beaucoup tordu puisque des gens qui ne produisent rien que du rêve sont payés des fortunes (chanteurs, acteurs, footeux et sportifs en tous genres) alors que des travailleurs qui peinent, triment, suent et souffrent, attendent un salaire (quelquefois de misère) qu’on leur verse avec beaucoup de condescendance (vous avez de la chance d’avoir un emploi, dites « merci »). Les inégalités sont trop criantes. Que les responsabilités, les angoisses, les horaires fous de certains cadres correspondent à des salaires élevés, c’est normal, ce qui l’est moins, ce sont les salaires faramineux (pharamineux est possible aussi) attribués à des fantômes ou des fantoches. Il est indispensable de remettre à plat tout le système.
Mais comment se faire entendre ? Certains monopolisent la parole.
Je me suis mise en colère jusqu’à ce que je comprenne le poids et la valeur du calme, du silence, du détachement. Cet état de mise en retrait n’empêche nullement de dresser un constat mais il permet de se protéger. Je regarde, je constate, je dis, j’explique. Si en face, on entend et on comprend, la situation devient claire : pas de colère. Si par contre, face à moi, je vois : visage , oreille et coeur fermés, à quoi bon insister si l’autre ne veut ni voir, ni entendre ? Je pourrais y laisser tout mon temps, je ne ferai rien changer. Ce n’est pas en m’énervant, criant, tempêtant que les choses iront mieux. Je perdrai toute crédibilité et rien ne changera. Je ne baisse pas vraiment les bras, même si ça y ressemble, je change de façon de voir et d’agir. Sans doute plus lent mais sans conflit violent, donc c’est plus reposant. Je me fais la remarque suivante, « curieusement plus on vieillit moins on est pressé » ; du moins pour moi, c’est ça. Pourquoi ?
Mais notre situation devenant insupportable, il va bien falloir se mettre à crier ensemble notre colère pour faire changer les choses.
Revenons à du plus léger, une autre question me taraude : pourquoi les changements de couleur : je peux être rouge de colère, entrer dans une colère noire. Rouge, je comprends ; noir un peu moins. A voir plus tard.
Lorsque quelqu’un voit rouge ou qu’il se fâche tout rouge il est sous l’emprise de la colère, le sang lui monte au visage, physiquement il devient rouge de colère (plus tard, il en sera peut-être rouge de honte). La colère réveille et anime son instinct de destruction et les manifestations de violence apparaissent. Le « quelqu’un » peut alors être très violent verbalement voire physiquement, ce qui explique, mais n’excuse pas les crimes passionnels et autres violences « domestiques » ou non faites aux femmes et/ou aux enfants. Le « pétage de câble » qui semble devoir tout excuser n’est souvent qu’un coup d’éclat de la colère. Et si, on ré-apprenait à se modérer, s’autodiscipliner…
Personne n’a de droit sur un autre humain. L’amour ne donne pas de droit de propriété. L’amour et la passion n’excusent pas la violence et le crime. Pourtant, d’une manière générale, la société cherche à entretenir cette ambigüité. Les symboles corroborent ces idées « foireuses ». Le rouge garde une ambivalence dans sa symbolique entre l’amour et le mal : son côté négatif (sous forme de feu, de sang, d’interdits, de passion) est fortement présent dans notre quotidien, son côté positif est mis en avant pour certaines fêtes ou certains produits (roses rouges de la Saint Valentin, bijoux en rubis, sous-vêtements coquins, voitures luxueuses).
Le rouge s’est affublé d’une double symbolique depuis très longtemps : le mal représenté sous la forme du feu, de Satan et du sang, le bien représenté par l’amour, mais peu à peu le rouge est devenu le symbole de puissance et de gloire, il devient la couleur des puissants, avant même le pape et ses cardinaux, les seigneurs et le roi, l’Empereur et les généraux victorieux à Rome portaient des tuniques pourpres.
De la puissance à la colère, il n’y a que de petits pas qui passent souvent par l’avidité.
La colère, mauvaise conseillère ?
Pour les bouddhistes, les trois sources principales du malheur humain sont l’ignorance, l’avidité et la colère. Pour les chrétiens, la colère est un des sept péchés capitaux (revoir mon article, éloge de la paresse) pourtant Jésus a chassé sans douceur les marchands du temple ; il s’emportait aussi quelquefois contre ses disciples. Alors que penser ? Saintes colères ?
Le sens commun affirme que la colère est mauvaise conseillère, le langage courant nous dit aussi qu’il y a de “saintes colères”. La colère est-elle toujours à fuir, ou y aurait-t-il de bonnes colères ? Et comment discerner la bonne de la mauvaise ?
Si quelqu’un me bouscule dans la rue, la colère m’envahit-elle ? Non, il y a d’abord une souffrance, un sentiment d’humiliation, qui me renvoie à des expériences d’enfant où j’ai eu l’impression qu’on ne tenait pas compte de moi, j’étais incapable de me défendre… c’est pourquoi je me mets en colère contre la personne qui m’a bousculé. Souvent avec la colère, je prends un bouc émissaire qui a eu le tort d’entrer dans ma zone de « turbulences ». Mais la colère est elle-même une forme de refoulement, une manière de ne pas éprouver certaines émotions. Je peux pleurer de rage, de rage contre moi qui n’ai rien dit.
Ainsi il existerait donc deux formes de colère : la colère qui transforme le refus de ressentir en haine de l’autre et une colère que l’on appelle une sainte colère, qui est pure, elle est l’affirmation du désir créateur face à l’inertie de l’obstacle. Je suis en colère, Stéphane Hessel dirait « je suis indigné ». Mais que dois-je faire pour être réellement constructif ? Et comment ?
La vraie colère est donc une énergie créatrice, au sens où la création demande de détruire le passé, les formes anciennes afin que de nouvelles puissent émerger. Voir les idéaux de révolte du Maghreb au printemps ? La France, l’Europe, c’est pour quand ? Il est maintenant certain que sans une vraie mise à plat des problèmes, on ne s’en sortira pas et que les replâtrages ne sont que des cache-misères…
La colère divine a détruit l’ancien monde, avant le Déluge. Dieu aurait-il agi par amour de l’humanité ? Il a redonné à Noé et sa descendance un terrain de jeu neuf et propre. Il aurait agi, malgré les apparences, par amour. Rebelote avec l’arrivée de Jésus le Sauveur. Et maintenant ?
Qu’est-ce qu’on attend ?
Nous ne sommes pas Dieu(x) mais on peut, peut-être, faire mieux…
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