La vérité… Voilà bien une idée qui doit sembler étrange à bon nombre de personnes. Par les temps qui courent la vérité est malmenée, travestie… et plus personne ne semble choqué. Le mensonge et l’enfumage sont devenus courants. Quelle tristesse ! Est-ce bêtise, trop grande naïveté que de dire la vérité ? La vérité toute nue… Voilà une expression désuète : dire la vérité toute nue, c’est dire la vérité telle qu’elle se présente, sans apprêt, sans déguisement. Ça ne se fait plus, c’est devenu politiquement incorrect. Pourquoi donc ? Qui protège-t-on avec les mensonges ?
Si vous aimez les fables, au XVIII°siècle, à côté de La Fontaine, à la même époque, il y avait Florian, petit neveu par alliance de Voltaire. Cet écrivain français, dont le nom complet était Jean-Pierre Claris de Florian, fut notamment connu pour ses talents de fabuliste. Né en 1755 dans les Basses Cévennes au sein d’une famille de tradition militaire, il choisira une carrière dans la littérature ; soutenu et protégé par son oncle, le duc de Penthièvre. Il entrera à l’académie française en 1788 mais quelques années plus tard, en 1794, il mourra, à trente-neuf ans, victime de la Révolution (emprisonné, tuberculeux…).
En 1792, Florian publia « La fable et la vérité », premier apologue satirique de son recueil de Fables. Par ce texte l’auteur met en scène deux femmes, la Fable richement vêtue et la Vérité vieille et nue, personnifications de la vérité et du mensonge. Voilà ce texte :
La Vérité toute nue
Sortit un jour de son puits ;
Ses attraits par le temps étaient un peu détruits,
Jeune et vieux fuyaient sa vue :
La pauvre Vérité restait là morfondue,
Sans trouver un asile où pouvoir habiter.
À ses yeux vient se présenter
La Fable richement vêtue,
Portant plumes et diamants,
La plupart faux, mais très brillants.
Eh ! Vous voilà ! bonjour, dit-elle :
Que faites-vous ici seule sur un chemin ?
La Vérité répond : vous le voyez, je gèle :
Aux passants je demande en vain
De me donner une retraite,
Je leur fais peur à tous. Hélas ! je le vois bien,
Vieille femme n’obtient plus rien.
Vous êtes pourtant ma cadette,
Dit la Fable, et, sans vanité,
Partout je suis fort bien reçue ;
Mais aussi, dame Vérité,
Pourquoi vous montrer toute nue ?
Cela n’est pas adroit. Tenez, arrangeons-nous ;
Qu’un même intérêt nous rassemble :
Venez sous mon manteau, nous marcherons ensemble.
Chez le sage, à cause de vous,
Je ne serai point rebutée ;
À cause de moi, chez les fous
Vous ne serez point maltraitée.
Servant par ce moyen chacun selon son goût,
Grâce à votre raison et grâce à ma folie,
Vous verrez, ma sœur, que partout
Nous passerons de compagnie.« Pour vivre heureux, vivons caché »
Le fait que la Vérité soit nue la relie à l’idée de pauvreté sans compter que cette pauvre femme est vieille et laide. Puisque «jeunes et vieux fuyaient à sa vue», nous constatons que toute la société fuit devant la vérité. À elle s’oppose à la beauté de la Fable, «richement vêtue » mais qui semble avoir le cœur sur la main, prête à aider la Vérité. La Fable est une véritable séductrice.
De nos jours la Fable est-elle toujours aussi généreuse ?
Nous, nous passons à côté de la Vérité, sans la voir, détournant nos regards, comme si la Vérité dérangeait. On nous a enseigné que toute vérité n’est pas bonne à dire ou à entendre. Le mensonge est ainsi admis. Morale étrange !
Pour revenir au texte de Florian, il faut toutefois bien noter que la Fable n’est pas aussi riche qu’on peut le croire au premier abord (« la poudre aux yeux » fonctionnait déjà) : «la Fable, richement vêtue, portant plumes et diamants, la plupart faux, mais très brillants.» Le mensonge (la Fable) paraît, elle affiche un atout séduisant mais qui ne repose sur rien de concret.
Florian, au XVIIIe siècle, montrait que la majeure partie des gens ment et qu’à l’inverse, peu de personnes sont franches. Les nobles, riches sont particulièrement enclins à la fourberie et pourtant, curieusement, il se fera enfermé le 9 thermidor pour avoir soutenu la noblesse qu’il condamnait avant 1792…Il sera relâché certes mais, malade, il mourra brutalement à sa sortie de prison.
Que risque-t-on de nos jours à dire la vérité crûment ?
L’incompréhension et le rejet sans aucun doute.
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