Le Pays des merveilles d’Alice

Je viens de revoir “Alice aux Pays des Merveilles” de Tim Burton. Ca me donne à réfléchir. La première fois, au cinéma, je n’avais pas vraiment entendu les dialogues tant j’étais fascinée par les décors. Cette fois, j’ai écouté et j’ai été surprise. Au Chapelier qui demande à Alice “Suis-je devenu fou ?”, la réponse est “Je vais vous dire un secret, la plupart des gens bien le sont”. Extrêmement sensé, non ? Et quand les opprimés de la Reine Rouge se révoltent, ils disent qu’ils n’obéiront plus car les courtisans sont menteurs, tricheurs, falsificateurs… C’est donc partout la même chose ? Mais revenons au conte.

A mes yeux, le Pays des merveilles d’Alice est franchement dépaysant et affreusement angoissant. Peut-être ai-je lu trop tôt une version non édulcorée de cette histoire pas vraiment pour enfants ?

Je n’ai pas commencé par une édition Disney pleine de couleurs mais par un livre aux dessins à la plume, en noir et blanc. Je me souviens que mon imagination faisait un gros travail. Est-ce parce que je lisais le plus souvent quand j’étais malade et que j’étais seule dans ma chambre ? Est-ce que la fièvre accentuait le sentiment d’angoisse et cette sensation d’oppression ? Est-ce que le temps a déformé les souvenirs ? Le tout est qu’aujourd’hui, quand je repense à Alice au pays des merveilles, je me sens plus proche du monde sombre de Tim Burton que de celui du dessin animé de Walt Disney aux couleurs de confiserie.

Des détails me reviennent, détails farfelus, assez précis, omis dans les différentes adaptations du roman original : le Dodo et sa course à la fin de laquelle tout le monde gagne, le sourire (du chat de Chester) qui résiste à tout, la chenille et son narguilé sur le champignon, le biscuit à grandir qui met Alice en triste posture quand la maison craque de tous côtés, la mer de larmes, le lièvre de mars encore plus fou que le chapelier et cette pendulette, cette énorme montre du lapin au tic-tac effrayant, lancinant… Je l’entendais, je crois.

Arrivée ou plutôt tombée dans le pays des merveilles, Alice est en pleine crise d’identité. Elle ne connait personne, elle est seule et ne se reconnait même pas. Elle grandit et rapetisse, se métamorphose à plusieurs reprises. Elle perd tous ses repères dans toutes les dimensions : l’espace et le temps. Elle oublie le savoir scolaire et croit même avoir perdu la raison car elle ne peut pas comprendre le monde qui l’entoure, monde dans lequel la logique n’a plus cours : les animaux parlent, sont habillés, la reine veut – arbitrairement – couper des têtes, le Chapelier est fou, son discours tend à le prouver mais les autres personnages n’ont pas l’air tellement plus “sains”.

Le pays des Merveilles est un  lieu de contestation de l’ordre établi. Alice se dit qu’elle est dans un rêve, tout est permis, la déraison est la norme ; ne dit-on pas les rêves les plus fous ? Moi, je le trouve plutôt cauchemardesque ce rêve.

Ce pays des merveilles est un lieu d’excès : extravagance, folie et cruauté des personnages, distorsion du temps qui semble s’étirer à certains moments et se raccourcir à d’autres. Le Lapin Blanc court toujours après le temps “Je suis en retard” ne cesse-t-il de répéter, alors que le Chapelier fou et le Lièvre de Mars sont condamnés à vivre éternellement l’heure du thé. A la table du thé, rien ne change si ce n’est la place des convives. C’est l’agitation permanente, loufoquerie supplémentaire…Tiens, il y en a toujours et partout des vibrions.

Alice semble prisonnière de ce monde absurde, de son rêve. Jusqu’à quand ?

Son réveil ? La fin de l’enfance ? Nous avons bien pris conscience que c’est à elle qu’appartient la décision.

La décision de passer à l’âge adulte.

Et pour nous, pour les Japonais, les Libyens, tous les autres qui vivent un cauchemar, le réveil, c’est quand ? Comment ?

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