Août 1953

Souvenirs pour certains peut-être mais moi, je l’avoue, je viens de découvrir qu’au mois d’août 1953, juste après ma naissance (27 juillet), en pleine période de congés payés, une grève a surpris tout le monde, mais surtout le gouvernement de l’époque. Cette grève a paralysé les services publics et mis en échec les plans d’austérité du gouvernement d’alors, gouvernement dirigé par Joseph Laniel.

En effet, à la suite de l’annonce par le gouvernement d’un plan d’économies dans la fonction publique et les entreprises nationalisées et du recul de l’âge de la retraite, il y eut près de quatre millions de grévistes pendant un mois.

Lorsque Joseph Laniel est arrivé au pouvoir, après une crise ministérielle qui avait duré trente-six jours, chose fréquente sous la IVe République, un gouvernement de droite succédait à d’autres gouvernements de droite. Par ailleurs, la guerre froide battait son plein ; l’armée française s’enlisait chaque jour un peu plus dans la guerre coloniale en Indochine, engloutissant les hommes, le matériel et les munitions par milliards (en moins de trois ans, le budget militaire avait doublé et représentait 35% du budget de l’État). Pour faire face à ce gouffre financier, Laniel envisageait de ponctionner encore davantage la population laborieuse. L’Assemblée Nationale lui vota des pouvoirs spéciaux, l’autorisant à gouverner par décrets-lois (des lois qui ne sont ni discutées ni votées par le Parlement) et qui pouvaient lui permettre de remettre en question sans débats n’importe quelle autre loi. Ainsi, le gouvernement, dans lequel figurait entre autres François Mitterrand (gouvernement de droite, je le rappelle), avait les mains libres pour préparer les fameux décrets-lois imposant un recul de deux ans de l’âge de départ en retraite de tous les fonctionnaires, (âge qui était alors à 65 ans pour les services sédentaires et à 58 ans pour les services actifs). Des «actifs» devaient être transformé en «sédentaires» et ainsi étaient menacés de travailler neuf ans de plus (oui, neuf ans: 7 + 2). En outre les salaires étaient bloqués et de très nombreux postiers auxiliaires (non-fonctionnaires) devaient être licenciés.

Le 4 août donc, l’activité cessait dans la quasi-totalité des bureaux, des centres et des services postaux. Les centrales syndicales appelèrent alors tous les fonctionnaires et les travailleurs de l’État à une grève d’avertissement de 24 heures le vendredi 7 août. A côté des postiers, les cheminots, les gaziers, le métro parisien, les mineurs, les ouvriers des Arsenaux et ceux de la Régie des tabacs cessèrent le travail. La grève fut suivie par quatre millions de travailleurs et dura jusqu’au 25 août. Il n’y avait plus de trains, plus de courrier, plus de téléphone (manuel entre Paris et la province), plus de chèques postaux, les ordures s’entassaient sur les trottoirs des villes. Des milliers, de vacanciers, des touristes furent bloqués sur leur lieu de vacances et ne purent rejoindre ni leur domicile ni leur travail (il y avait peu de voitures en ce temps-là). Malgré cela cette grève restait populaire. car de nombreux salariés étaient persuadés qu’ils allaient retourner au travail pour être appelés à se mettre en grève à leur tour.

Dans un premier temps, le gouvernement tenta de faire preuve de fermeté. Des ordres de réquisition fondés sur un décret datant de 1938, relatif à la sécurité du territoire en temps de guerre, furent adressés à des cheminots et à des postiers… et finirent en feu de joie. Des tribunaux prononcèrent des condamnations : de la prison ferme, huit jours pour cinq agents du Central téléphonique international de Paris, six jours avec sursis pour deux facteurs-chefs de Lyon, entre autres. Aucune de ces peines ne fut appliquée et le moral des grévistes restait entier.

Le 20 août, un accord était signé : le gouvernement reculait sur les retraites et les salaires les plus bas. Les directions CFTC et FO appelèrent à la reprise du travail mais la CGT appelait à continuer la grève dénonçant «la trahison des dirigeants scissionnistes qui tentent de briser la grève au profit du gouvernement et des capitalistes». La grève resta donc puissante dans les secteurs décisifs. L’ordre de reprise de FO et de la CFTC fut sans effet.

Démonstration faite de sa puissance, la CGT appela à la reprise du travail le 25 août, sans que les travailleurs n’obtiennent rien de plus. Les fonctionnaires avaient réussi, en pleine période de congés payés, à faire reculer un des gouvernements les plus ouvertement réactionnaires et anti-ouvriers de l’époque.

Le 23 septembre 1953, au congrès du Parti radical, Pierre Mendès-France estima que « Les grèves récentes n’étaient pas des grèves politiques ni exactement des grèves professionnelles. Certains grévistes étaient incapables de définir avec précision leurs revendications. C’étaient les grèves de la tristesse, du désespoir, du découragement. »

Les grèves et surtout les manifestations de 2016, qu’est-ce que c’est ? Découragement ? Je pense plus au désespoir. Pas vous ?

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2 réflexions sur « Août 1953 »

  1. c’ est bien le public qui peut faire reculer le gouvernement, et c’ est bien pourquoi celui ci lui fait plaisir par petites touches, par petites primes, ou par petites augmentations, surtout quand le président se représente !
    Aujourd’ hui, c’ est l’ unité qui manque
    Bonne journée Françoise
    Bisous

  2. Les grèves d’août 1953, je m’en souviens ! J’habitais alors en banlieue et je travaillais à PARIS ! C’était mon père, qui habitait notre région, qui passait me chercher tous les matins et faisait un “ramassage d’employés” avec sa petite voiture 4CV Renault ! Nous arrivions au travail….quand nous arrivions! nous avions au moins fait l’effort de nous déplacer ! Tout était en grève, SNCF, métros, autobus etc….les usines étaient occupées….
    Reverrons-nous ça à une époque où tout va mal, quoiqu’en dise notre “Moi je”!
    Comme dit Trublion: c’est l’unité qui manque….c’est un peu du “chacun pour soi”….

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