Proverbe créole

Il y a longtemps que je n’ai pas cité de proverbe créole de La Réunion alors en voilà un : “Vant plin la di : gouyav na lo vèr ! Vant vid la di : kite ma oir !” (traduction : “Le ventre plein a dit : la goyave a des vers ! Le ventre vide a dit : laisse, je vais voir ! Vous avez bien compris, quand on a faim on ne peut faire la fine bouche. Voilà qui nous ramène à notre monde : combien ne peuvent pas faire la fine bouche ?

Mais attention à ceux qui nous contraignent à des conditions de vie de plus en plus difficiles : “ventre affamé n’a pas d’oreilles”.

Et nous voilà face a deux expressions supplémentaires à décortiquer : faire la fine bouche, qui signifie faire le difficile, rechigner à manger quelque chose. À l’origine, on disait “faire la petite bouche” pour quelqu’un qui chipotait à table, par opposition à quelqu’un qui ouvre grand la bouche pour bâfrer toutes les bonnes choses qu’on peut trouver sur une table bien garnie. Avec le temps, l’adjectif “petite” a été remplacé par “fine” mais le sens est resté le même. Celui qui peut faire le difficile n’a pas faim.

Celui que la faim tenaille va se jeter sur la nourriture sans écouter les conseils de modération qu’on pourrait lui prodiguer, voilà sans doute pourquoi on dit “ventre affamé n’a pas d’oreille”. Tout le monde sait que le ventre ne possède aucune oreille qu’il soit affamé ou rassasié. Il semble que l’expression est très ancienne et qu’elle a été prononcée dans la Rome antique par Caton l’Ancien alors que, dans une période de disette, les Romains réclamaient, à grands cris, une distribution de blé non planifiée. Caton, sénateur, s’y serait fermement opposé, considérant une telle mesure comme démagogique, il aurait dit à ses concitoyens : “Il est difficile de parler à un ventre, citoyens, car il n’a pas d’oreilles”. Oui, celui qui a extrêmement faim est prêt à prendre des risques, à ne pas écouter la voix de la raison pour arriver à manger. Il n’hésite même plus, en dernier recours, à utiliser des moyens illicites ou dangereux. Voler un pain, ce que fit Jean Valjean, conduisait, jadis, au bagne (condamné pour cinq ans, Jean Valjean y restera dix-neuf en raison de tentatives d’évasion). La France n’était pas seule à être aussi sévère avec les pauvres. L’Angleterre a déporté en Australie, au bagne de Port Arthur en Tasmanie, des voleurs de pain, les récidivistes seulement.

La faim qui tenaille, voilà qui me rappelle un poème de Jacques Prévert extrait du recueil “Paroles”.

La grasse matinée

Il est terrible le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain
il est terrible ce bruit quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim
elle est terrible aussi la tête de l’homme, la tête de l’homme qui a faim
quand il se regarde à six heures du matin
dans la glace du grand magasin
une tête couleur de poussière
ce n’est pas sa tête pourtant qu’il regarde
dans la vitrine de chez Potin
il s’en fout de sa tête l’homme
il n’y pense pas
il songe
il imagine une autre tête
une tête de veau par exemple
avec une sauce de vinaigre
ou une tête de n’importe quoi qui se mange
et il remue doucement la mâchoire
doucement
et il grince des dents doucement
car le monde se paye sa tête
et il ne peut rien contre ce monde
et il compte sur ses doigts un deux trois
un deux trois
cela fait trois jours qu’il n’a pas mangé
et il a beau se répéter depuis trois jours
Ça ne peut pas durer
ça dure
trois jours
trois nuits
sans manger
et derrière ces vitres
ces pâtés ces bouteilles ces conserves
poissons morts protégés par des boîtes
boîtes protégées par les vitres
vitres protégées par les flics
flics protégés par la crainte
que de barricades pour six malheureuses sardines…
Un peu plus loin le bistrot
café-crème et croissants chauds
l’homme titube
et dans l’intérieur de sa tête
un brouillard de mots
un brouillard de mots
sardines à manger
oeuf dur café-crème
café arrosé rhum
café-crème
café-crème
café-crime arrosé sang !…
Un homme très estimé dans son quartier
a été égorgé en plein jour
l’assassin le vagabond lui a volé
deux francs
soit un café arrosé
zéro francs soixante-dix
deux tartines beurrées
et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon.
Il est terrible
le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim.

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2 réflexions sur « Proverbe créole »

  1. Bonjour
    Si j’entends encore un peu mon ventre va se trouver naturellement affamé… il ne est ainsi chaque jour à midi… et j’avoue que je suis privilégié, car je n’ai jamais manqué de rien…
    Sincèrement
    jean

  2. il y a aussi cette fable de La Fontaine sur ce héron qui dédaigna carpes et tanches en attendant que la faim lui vienne, et qui dut se contenter d’ un limaçon.
    Mais au moins avait il le choix, ce qui ne sera pas forcément notre cas au bout de 5 ans de socialisme !

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